La justice reconnaît la double discrimination subie par les femmes portant le foulard islamique

Ce lundi 3 mai 2021, le tribunal du travail de Bruxelles a condamné la STIB pour discrimination fondée sur les convictions religieuses et sur le genre. Une plaignante qui s’estimait victime d’une discrimination directe fondée sur ses convictions religieuses et d’une discrimination indirecte fondée sur le genre, rejointe par Unia et la Ligue des droits humains, a obtenu gain de cause.

Lire le jugement.

De confession musulmane, Madame T porte un foulard. À la recherche d’un emploi, elle fait appel à des agences d’intérim et postule à la STIB successivement en décembre 2015 et janvier 2016. Par deux fois, les agences de recrutement lui font savoir que la STIB applique une politique de neutralité qui n’autorise aucun signe convictionnel et qu’elle devrait s’y conformer en retirant son foulard. Disposée à transformer son foulard en un léger turban, elle se présente à un entretien lors duquel la question du retrait du foulard est abordée : celui-ci est interdit, peu importe la façon dont il est porté. Les agences de recrutement la renvoyant systématiquement au règlement de travail de l’entreprise pour justifier cet interdit, elle n’obtiendra pas d’entretien suite à sa seconde candidature.

Bien que la STIB se défende d’avoir écarté la candidature de Madame T en raison de son choix de porter le voile, elle ne conteste aucunement pratiquer une politique de “neutralité exclusive” interdisant à tous les membres de son personnel le port de signes convictionnels, qu’ils soient politiques, philosophiques ou religieux.

Suite à des tentatives de conciliation infructueuses, Unia  [1] a intenté une action en cessation au mois d’avril 2019 devant le tribunal du travail de Bruxelles. La plaignante et la Ligue des droits humains (LDH) se sont ensuite jointes à la procédure sous la forme d’une intervention  volontaire. La LDH entendait en particulier faire reconnaître la dimension de genre de cette affaire à côté de sa dimension religieuse.

Par ordonnance du 3 mai 2021, le tribunal fait droit aux demandes de la plaignante, d’Unia et de la LDH. Sur la base des éléments dont il dispose, le tribunal du travail de Bruxelles constate en effet que Madame T a été victime d’une double discrimination.

D’une part, une discrimination directe sur la base de sa religion. Conformément au mécanisme de partage de la charge de la preuve instauré en droit belge par le droit européen, il revenait à la STIB de prouver que le refus d’embauche n’était pas discriminatoire, ce qu’elle n’a pas été en mesure de faire. Le tribunal estime qu’assez d’éléments laissent présumer une discrimination et, par conséquent, que le refus d’embauche est bien lié au fait que Madame T portait le voile.

D’autre part, une discrimination indirecte sur base du genre est reconnue. Le tribunal estime que le règlement de la STIB, apparemment neutre, qui consiste à refuser tout signe religieux pèse, en réalité, de manière disproportionnée sur les femmes. S’agissant du plus gros employeur de la Région bruxelloise, le tribunal relève que « la politique de l’emploi de la STIB est visiblement genrée » dès lors que le problème de parité y est criant. En 2015, les femmes ne constituaient que 9 % du personnel de la STIB, chiffre qui monte à 22 % si on ne considère que les fonctions employées mais qui chute à 7,8 % dans les fonctions de conduite des véhicules. Par ailleurs, le tribunal relève que la STIB emploie de nombreux hommes de confession musulmane qui sont autorisés à porter la barbe. La discrimination indirecte basée sur le genre devient alors apparente, discrimination que la STIB n’a pas pu justifier de manière objective et raisonnable.

Enfin, le tribunal ordonne à la STIB de mettre fin à sa politique de « neutralité exclusive ». La LDH salue cette décision de principe, qui reconnaît également le statut de victime de discrimination à Madame T et lui octroie une indemnisation conséquente. La LDH souligne que cette décision reconnaît à la fois une discrimination directe basée sur la religion et une discrimination indirecte basée sur le genre, ce qui, à sa connaissance, constitue une première en Belgique. Cette décision constitue un signal important pour les femmes qui souhaitent travailler en Région bruxelloise tout en portant le foulard et ouvre potentiellement la voie à une reconnaissance juridique des discriminations intersectionnelles.

La LDH remercie l’Equality Law Clinic de l’Université libre de Bruxelles pour son apport dans cette affaire.

[1] Unia est un service public indépendant de lutte contre la discrimination et de promotion de l’égalité des chances.

5 mai 2021