Tracing des données sensibles et prolongation des mesures Covid : un débat démocratique s’impose

De nouvelles mesures concernant le tracing des données sensibles et la prolongation des mesures Covid sont adoptées en toute opacité par arrêtés ministériels. Il est plus que temps que de telles mesures, aux impacts conséquents pour nos droits et libertés, fassent l’objet du débat démocratique qu’elles méritent. 

Ce 12 janvier, un arrêté ministériel est venu discrètement modifier la réglementation applicable aux mesures d’urgence pour limiter la propagation de la Covid-19. Il prévoit notamment que l’Office national de sécurité sociale (ONSS) soit doté de moyens étendus pour tracer largement les travailleur·euse·s salarié·e·s et indépendant·es, au moyen d’outils technologiques développés (datamining et datamatching)(1). Cet article vise clairement à assurer le traitement à grande échelle des données de santé sensibles reliant et croisant des bases de données, ce qui constitue une ingérence importante dans les droits et libertés des personnes concernées.

Sa rédaction, très peu détaillée, implique une faculté d’intrusion extrêmement large : il concerne a priori toutes les données contenues dans les bases de données de Sciensano (en ce compris celles liées à la vaccination ?), il concerne toutes les personnes, infectées ou non, il n’est pas limité dans le temps, il implique un nombre considérable d’institutions… Bref, il est en l’état grossièrement disproportionné.

Mais ce qui interpelle tout autant, c’est l’inscription de cet article dans un arrêté ministériel et non dans une loi. Ce n’est pas par amour de la législation qu’il est important que le législateur se prononce sur ces questions, mais bien parce que l’adoption d’une loi implique un débat public, la consultation systématique d’instances d’avis spécialisées (comme le Conseil d’Etat et l’Autorité de Protection des données), une publicité accrue, une procédure claire…

Depuis le début de cette pandémie, nous attendons désespérément l’adoption d’actes législatifs qui permettraient de faire fonctionner nos organes démocratiques et de faire vivre les valeurs fondamentales qu’ils sont censés défendre et protéger. Or, de pouvoirs spéciaux en arrêtés ministériels, de Conseil national de sécurité en comité de concertation, le débat démocratique se fait attendre.

Pire, on apprenait cette semaine également le prolongement jusqu’au 1er mars de toutes les mesures fédérales Covid-19 (bulle sociale, restrictions des rassemblements, couvre-feu, télétravail obligatoire…) par… arrêté ministériel !

Comme le relève le Labovir-IUS, laboratoire d’observation du droit Covid-19 de l’Université de Mons, soit le Comité de concertation du 8 janvier dernier avait décidé de prolonger les mesures au 1er mars, mais dans ce cas, il aurait dû le dire, soit le Comité de concertation n’a pas décidé cette prolongation, ce qui est plus crédible, mais alors cela soulève une autre question : qui décide en Belgique ? La Ministre de l’Intérieur, seule ?

On a lu avec étonnement les explications confuses de la Ministre et du Premier Ministre expliquant que cette prolongation ne signifiait pas que ces mesures seraient maintenues d’ici là… Mais alors pourquoi les prolonger jusqu’à cette date ?

Le Labovir-IUS conclut : « A ceux et celles qui douteraient encore de la modernité du principe de légalité inscrit dans notre Constitution depuis 1830, on peut désormais répondre ceci : voici ce qui arrive quand on se passe des parlementaires, quand on contourne le débat public, quand on évite systématiquement les instances d’avis. Des mesures pesant très lourdement sur nos droits et libertés s’installent sans débat, sans publicité et sans garde-fou, en vertu de décisions confidentielles, prises par des instances opaques et selon une procédure floue : qui décide – et qui est responsable – en Belgique des mesures Covid-19 ? ».

On ne saurait mieux dire. Et donc réitérer l’appel à l’adoption d’une loi et à la mise en place d’un débat public de qualité.

(1)  Pour reprendre les termes exacts, l’arrêté ministériel prévoit notamment que « l’Office national de sécurité sociale (ONSS) peut, en qualité de sous-traitant pour le compte de tous les services et institutions chargés de la lutte contre la propagation du coronavirus COVID-19, ainsi que de tous les services ou institutions chargés de surveiller le respect des obligations prévues dans le cadre des mesures d’urgence prises pour limiter la propagation du coronavirus COVID-19, collecter, combiner et traiter, y compris via le datamining et le datamatching, des données concernant la santé relatives au coronavirus COVID-19, des données de contact, d’identification, de travail et de résidence relatives aux travailleurs salariés et travailleurs indépendants, en vue de soutenir le traçage et l’examen des clusters et des collectivités. »

15 janvier 2021