Surpopulation carcérale : des effets inattendus de la pandémie…

Pour la première fois depuis des décennies, le taux de surpopulation carcérale en Belgique a sensiblement baissé. Conséquence d’une crise sanitaire sans précédent, ce qui était hier impossible est devenu réalité aujourd’hui : ce que les ministres de la justice successifs n’ont pas réussi à faire, malgré les multiples condamnations internationales, malgré l’indignation des ONG, malgré les alertes lancées par les professionnels concernés, malgré les condamnations judiciaires, malgré les constats académiques, malgré les appels désespérés des familles concernées, la pression sanitaire y est parvenue en quelques petites semaines.

Cette situation fait naître un fol espoir. Car si elle résulte de circonstances exceptionnelles, elle impose une évidence incontestable : réduire la population carcérale, prendre en charge en milieu libre ceux qui peuvent ou doivent l’être, n’est ni déraisonnable, ni dangereux. C’est, au contraire, une mesure de salut public. Ces dernières décennies, la Belgique a connu une inflation carcérale continue qui a contraint les personnes détenues à vivre dans la promiscuité et l’indignité et a condamné l’institution pénitentiaire à une quête vaine pour donner du sens à une peine de prison avant tout synonyme de désolation, désocialisation et déshumanisation. La baisse inédite que nous venons de connaître nous rappelle qu’une autre voie est possible. Que la volonté politique alliée à la mobilisation de l’ensemble des actrices et acteurs de la justice permet de remettre ou de maintenir en liberté des centaines de personnes sans que cela ne présente de danger en termes de sécurité.

Il est aujourd’hui essentiel de tout mettre en œuvre pour que la population carcérale ne reparte à la hausse dès la menace immédiate écartée.

Le 9 janvier 2019, l’État belge était condamné par le tribunal de première instance de Bruxelles en raison de la surpopulation dans les prisons de Saint-Gilles et Forest. Ce 4 juin 2020, la Belgique était à nouveau condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour les conditions de détention indignes qui règnent dans ses prisons (en particulier en cas de grèves des agents pénitentiaires). La surpopulation carcérale ne fait qu’aggraver des conditions matérielles déjà intolérables.

Les instances onusiennes, européennes et nationales mettent en évidence le fait que l’augmentation de la capacité carcérale n’est en rien une solution à la lutte contre cette surpopulation. Le temps est venu d’entendre ces injonctions tant la pandémie actuelle nous a prouvé qu’il ne s’agit que d’une décision politique, qui plus est relativement aisée à mettre en œuvre.

La crise que nous traversons amène chacun à faire la preuve de sa capacité à se réinventer : nous demandons que, dans le domaine des prisons comme dans tant d’autres, les enseignements soient tirés. Qu’à la gestion de l’urgence succède une véritable politique de déflation carcérale et une réelle réflexion sur le sens de la peine. Nous attendons de la Belgique qu’elle ne soit plus pointée du doigt par les instances européennes et onusiennes pour les traitements inhumains et dégradants qu’elle inflige aux détenu.e.s.

A cet égard, il faut noter que la particularité des mesures adoptées jusqu’ici en Belgique est que les libérations qui ont eu lieu ne sont pas toutes des libérations anticipées, certaines sont des interruptions de peine. Ce qui signifie que ces mesures n’ont vidé nos prisons que très provisoirement. Afin d’éviter un retour à la « normale » (ô combien anormale), il est impératif que le gouvernement prenne les mesures qui s’imposent afin de garantir que cette désinflation carcérale soit pérenne. A défaut, la surpopulation carcérale sera de nouveau intenable dans quelques semaines et les traitements inhumains et dégradants reprendront.

Est-ce cela que l’on retiendra de cette crise : continuerons-nous à (mal) faire ce qui ne fonctionnait pas avant ? Le moment est venu, l’occasion est là : il s’agirait de ne pas la manquer.

Signataires :
Ligue des droits humains
Observatoire International des Prisons – section belge
CAAP
GENEPI

11 juin 2020