Sans-papiers : ils et elles sont aussi « la Belgique »

Ils construisent des gratte-ciel et des stations de métro. Elles s’occupent des ménages, des enfants ou des personnes âgées dans les beaux quartiers résidentiels. Nous appelons à protéger les occupants de tous les lieux occupés par des personnes sans-papiers et à faire évoluer la loi belge.

Un texte de Philippe Vansnick, secrétaire fédéral CSC Bruxelles-Hal-Vilvorde, Estelle Ceulemans, secrétaire générale FGTB Bruxelles, ainsi que 10 autres cosignataires membres de la société civile*.

Contexte. Depuis le 30 janvier, des sans-papiers occupent à nouveau l’église du Béguinage. Ce lieu est depuis longtemps au cœur du mouvement pour les droits des migrants. C’est un lieu de convergence et d’asile. Mais aussi de combat pour obtenir des droits égaux. Le mouvement, qui s’appelle l’Union des sans-papiers pour la Régularisation, essaime et investit de nouveaux lieux, comme l’ULB et la VUB. En parallèle, la Coordination des sans-papiers de Belgique lance une pétition de grande ampleur, une campagne intitulée “We are Belgium too” et soutenue par plusieurs dizaines d’organisations néerlandophones et francophones.

Difficile de faire valoir ses droits

Les occupants et occupantes de l’église sont des travailleurs, des travailleuses et des familles qui résident en Belgique depuis de nombreuses années. Sur le terrain, nous constatons que ces personnes sont déterminées et n’ont plus le choix. Elles sont épuisées, par des années d’exploitation et de clandestinité, par des mois de crise sanitaire et économique dramatique. L’histoire que nous racontent les occupants est représentative et emblématique de ce que nous voyons tous les jours sur le terrain. Il existe en Belgique des dizaines de milliers de personnes sans-papiers qui survivent grâce au travail au noir. Pour quelques euros de l’heure, ces travailleurs et travailleuses sont exploités, dans des secteurs importants de notre économie. Ils construisent des gratte-ciel et des stations de métro. Ils et elles nettoient les bureaux et les institutions les plus prestigieuses. Elles s’occupent des ménages, des enfants ou des personnes âgées dans les beaux quartiers résidentiels ou internationaux. En cas d’accident du travail lié au manque de protection, ou de violences – notamment sexuelles -, il leur est très difficile de faire valoir leurs droits.

Comment en sommes-nous arrivés là ? En Belgique la loi qui permettrait aux personnes sans-papiers d’être régularisées n’est pas claire. En effet, une demande de régularisation peut être introduite à l’Office des étrangers pour des “circonstances exceptionnelles”. Il faut alors prouver qu’il est impossible ou très difficile de rentrer dans son pays de nationalité. Ces “circonstances exceptionnelles” ne sont pas définies. La procédure laisse donc place à l’arbitraire et ne permet pas de tenir compte de la plupart des situations. En somme, cette loi n’apporte pas de solution. Malgré l’ancrage, le travail durable et l’intégration dont font preuve les personnes.

Des avancées jadis et ailleurs

En 2000 puis en 2009, le mouvement des sans-papiers avait abouti à des avancées substantielles mais limitées dans le temps : des papiers ont alors pu être délivrés sur base de critères objectifs liés à l’ancrage ou au travail, toujours sur base individuelle. Dans d’autres pays, comme en Espagne, il existe même une loi permanente, avec de tels critères objectifs. Et certains États, comme le Portugal, ont reconnu la crise du coronavirus et la fermeture des frontières comme des circonstances exceptionnelles permettant de régulariser des personnes sans-papiers.

Nous, membres de la société civile, prenons clairement position dans ce combat collectif pour des droits égaux. Nous appelons à protéger les occupants de tous les lieux occupés par des personnes sans-papiers et à faire évoluer la loi belge. Nous défendons une loi permanente qui soit enfin juste et efficace. Des alternatives et des propositions techniques ont déjà été écrites mais n’ont pas été prises en considération sérieusement. Comme celle d’inscrire dans la loi des critères objectifs liés à l’ancrage ou au travail, et où chaque dossier individuel serait traité par une commission indépendante. Il faut également pouvoir prendre en compte la situation des familles avec enfants et des malades. C’est une nécessité. Afin de résoudre la crise humanitaire que subissent les sans-papiers et de les sortir de l’exploitation. Afin de lutter contre le dumping social qui dégrade les salaires, les conditions de travail et la protection de l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Pour augmenter les contributions à la sécurité sociale qui bénéficient à l’ensemble de la population. Et aussi pour lutter plus efficacement contre le virus, en permettant aux sans-papiers d’intégrer pleinement le système de santé, de dépistage et de vaccination.

Nous appelons les citoyens voulant agir à signer la pétition qui a été lancée dans le cadre de la campagne “We are Belgium too”. Les collectifs de sans-papiers ont pour objectif de mobiliser une signature par chaque sans-papier aujourd’hui vivant en Belgique. Pour démontrer aux responsables politiques qu’aux yeux des Belges, les personnes sans-papiers sont des citoyennes et citoyens à part entière et qu’il convient de changer la loi à leur égard.

>>> Titre chapô et intertitres sont de la rédaction. Titre original : « La société civile soutient le combat des sans-papiers pour leurs droits à l’égalité et la dignité »

>>> Le texte original a été écrit en écriture inclusive.

>>> (*) Cosignataires :

– Olivia Venet, présidente Ligue des Droits Humains

– Thomas Englert, secrétaire fédéral du MOC Bruxelles (mouvement ouvrier chrétien)

– Adriana Costa Santos et Mehdi Kassou, Plateforme citoyenne de soutien aux réfugiés

– Aurore Kesch, présidente nationale Vie féminine

– Sotieta Ngo, directrice du Ciré (coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers)

– Marcela de la Peña, Marche mondiale des femmes – Belgique

– Alain Vanoeteren, directeur Ulysse (service de santé mentale pour exilé·es)

– Valérie Lootvoet, Université des femmes

– Anaïs Carton, CADTM (comité pour l’abolition des dettes illégitimes)

– Françoise Nice, UPJB (union des progressistes juifs de Belgique)

30 mars 2021

https://www.lalibre.be/debats/opinions/sans-papiers-ils-et-elles-sont-aussi-la-belgique-606312669978e2410fea5806