Sept organisations lancent une campagne contre le profilage ethnique par la police belge

Être contrôlé·e par la police, sans raison valable, en raison de sa couleur de peau provoque un impact énorme : c’est humiliant, frustrant, cela amoindrit la confiance placée dans les forces de police… et c’est illégal. De plus, il est avéré que le profilage ethnique ne constitue pas une technique policière efficace.

Sept organisations belges ont donc décidé de lancer une campagne dans le but de mettre un terme à cette pratique discriminatoire. Sous la dénomination « Pas Normal – Stop au profilage ethnique« , la Ligue des droits humains, JES Brussel, la Liga voor Mensenrechten, le Minderhedenforum, Uit de Marge, Amnesty International et le MRAX sensibiliseront le public au cours des deux prochaines années à la thématique du profilage ethnique par la police. La campagne formule également cinq recommandations concrètes à l’intention des politiques et de la police pour qu’ils s’emparent de cette problématique. « Pour de nombreuses personnes, le profilage ethnique est un concept vague, certaines ignorent même qu’il existe », affirme Eveline Vandevelde, coordinatrice de la campagne. « Pour les personnes qui ont des antécédents migratoires cependant, il est parfois si présent qu’il en devient presque « normal » dans leur vie. A chaque coin de rue elles risquent d’être soumises à un contrôle policier. Si cela se produit uniquement en raison de la couleur de peau ou de l’origine de quelqu’un, cela risque d’avoir des répercussions à long terme. »

« Notre campagne a pour but de réclamer que davantage d’attention soit accordée au phénomène du profilage ethnique. Il n’est d’aucune utilité et ne sert à personne car il stigmatise et éloigne les personnes qui ont un passé migratoire. Il n’est pas normal que cela se produise. En outre, des études montrent qu’il ne s’agit pas d’une technique policière efficace.. » Pour la campagne plusieurs personnes ont accepté de témoigner de leur expérience. Mostafa a été contrôlé parce qu’il était en train d’agir de manière « suspecte » sur son téléphone portable à l’arrêt de tram. « Où allons-nous si les gens estiment qu’il est normal que vous soyez pris à part et fouillé à l’écart ? En est-on arrivé au point que je doive raser ma barbe ? », se demande-t-il dans son témoignage. « C’est une humiliation. »

« La nouvelle campagne vise à renforcer la voix de ces témoignages et appelle les gens à partager également leur témoignage personnel sur les médias sociaux sous #pasnormal », déclare Eveline Vandevelde.

Coronavirus

Le fait que ce week-end dernier, en pleine crise épidémique, de nombreuses manifestations ont eu lieu dans différentes villes belges contre le profilage ethnique, la violence policière et le racisme structurel démontre que ces problèmes requièrent encore beaucoup d’attention aujourd’hui. Ces dernières semaines, des signaux alarmants sur le profilage ethnique ont fait surface pendant le confinement, notamment à travers une enquête menée par l’organisation de jeunes Uit De Marge. Le projet de la Ligue des droits humains, Police Watch, a également reçu des signalements de discrimination de la part de la police pendant le confinement. Ces signalements feront l’objet d’un rapport qui sera rendu public le 16 juin. Ces récits suggèrent que les forces de l’ordre appliquent plus strictement les mesures de confinement dans les quartiers où vivent de nombreuses personnes issues de la migration. A la mort du jeune Adil, à Anderlecht, connaissances et travailleurs de proximité ont fait le lien avec un contexte de profilage ethnique.

Pour les policiers, il n’est pas toujours facile de décider quand effectuer un contrôle. Des recherches menées par Amnesty International ont révélé que cette ambiguïté, combinée à des stéréotypes et des préjugés, souvent inconscients, peut donner lieu à du profilage ethnique. « Les difficultés rencontrées par les policiers n’ont pas disparu pendant le confinement », explique Eveline Vandevelde. « Et c’est dans ce contexte que le nombre total de contrôles a fortement augmenté. »

« Confinement ou pas, nous ne devrions pas douter de l’existence du profilage ethnique. Les policiers l’ont eux-mêmes confirmé dans une enquête d’Amnesty International », déclare Eveline Vandevelde. « Cette reconnaissance est un premier pas. Il est maintenant grand temps de mettre en place un plan d’action. »

Les esprits mûrissent

La campagne formule cinq recommandations clés à destination des représentant·e·s politiques et policiers. « Les bourgmestres, les chefs de zone et le ministre de l’Intérieur détiennent les clés pour renvoyer cette forme de discrimination à une époque révolue. Ils doivent de toute urgence travailler sur une interdiction claire du profilage ethnique dans la loi et fournir des instructions précises à destination des policiers sur le terrain », explique Eveline Vandevelde.

En outre, la campagne préconise l’enregistrement des contrôles d’identité. « Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons avoir une idée claire de ce qui se passe dans la rue et de la fréquence des profilés ethniquement », développe Eveline Vandevelde. « Il y a un an, les partis CD-V, Ecolo-Groen, N-VA, Open VLD, PTB-PVDA et SP.A se sont déclarés en faveur de l’enregistrement. Lors d’une audition au Parlement, il était également évident qu’il y avait un intérêt pour ce type d’enregistrement. Nous réclamons maintenant que la prochaine étape soit franchie.

Les esprits arrivent aussi à maturité dans la police. Différentes zones travaillent à clarifier les lignes directrices ou à examiner d’autres aspects telles que l’enregistrement des contrôles. « Nous partons du postulat que tout le monde dans la police veut faire son travail du mieux qu’il peut. Néanmoins, nous notons que le profilage ethnique reste encore une réalité aujourd’hui. C’est pourquoi il est bon que les zones de police elles-mêmes prennent des initiatives pour y mettre un terme. »

Filmer et porter plainte

La campagne appelle également à une meilleure protection du droit des citoyen·ne·s à documenter les actions de la police. C’est pourquoi il est nécessaire que les policiers soient instruits de respecter le droit de filmer la police.

Il est aussi primordial que les relations police-communautés soient améliorées. La confiance entre les deux parties est indispensable pour la pratique d’une action policière de qualité. Enfin, il est tout aussi nécessaire de mettre en place des mécanismes de traitement des plaintes accessibles, indépendants et efficaces. Eveline Vandevelde, estime qu’il est encore trop difficile actuellement de porter plainte auprès de la police. « Le profilage ethnique reste trop souvent sous les radars. Les gens qui l’ont subi préfèrent l’oublier rapidement et ne se plaignent pas facilement. Cette campagne est nécessaire pour placer ce problème en place utile à l’ordre du jour politique, car sans cette pression il sera trop facile de le garder au fond du tiroir», conclut Eveline Vandevelde.

Contexte

Le profilage ethnique se produit lorsque les forces de l’ordre procèdent à une arrestation ou interpellation d’une personne en raison de son apparence et non à cause de ce qu’elle a fait (ou est supposée avoir fait). Dans ce cas de figure, les stéréotypes ou les préjugés concernant l’origine ethnique, la couleur de la peau, la nationalité ou la religion constituent la vraie raison d’un contrôle, d’une fouille ou d’une arrestation, plutôt que ce soit sur base d’un comportement individuel ou d’un élément objectif.

La campagne « Pas normal, stop au profilage ethnique » réunit sept organisations belges de défense des droits humains, de la jeunesse et de la lutte contre les discriminations.

L’année dernière ce groupe a mis sur pied une conférence à l’intention des policiers et des décideurs politiques bruxellois et une soirée publique interactive sur ce thème à De Roma (Anvers).

Les organisations ont entre autre l’intention de développer un outil « Know your rights » pour les personnes qui vivent l’expérience du profilage ethnique et un outil éducatif à destination des écoles et maisons de jeunes. Une performance artistique est également prévue en début de l’année 2021 afin de sensibiliser un large public au profilage ethnique. Tout au long de la campagne, les différentes organisations dialogueront avec la police et les représentant·e·s politiques.

Lisez les cinq recommandations de la campagne ici.

10 juin 2020