Réforme de la gestion de l’information policière : une proposition qui nécessite réflexion !

À quelques semaines des élections législatives, une proposition de loi vient d’être déposée par trois partis issus de la défunte majorité, concernant la gestion de l’information policière. Outre le fait que l’agenda peut surprendre, parce que le temps laissé aux parlementaires pour discuter et éventuellement amender ce texte est très court, l’initiative manque cruellement de transparence à ce jour. En effet, ne sont joints au texte de la proposition ni l’avis du Conseil d’Etat ni celui rendu par l’Organe de contrôle, l’équivalent de l’autorité de protection des données en matière de gestion de l’information policière. Vu l’importance du sujet, il nous semble que plusieurs points de cette proposition mériteraient davantage de publicité, une réflexion et un débat approfondis.

La Ligue des Droits Humains (LDH) considère, par exemple, que l’accès direct à l’ensemble des informations policières, sans filtre, par les services de sécurité et de renseignement mériterait une discussion, notamment sur les objectifs poursuivis et sur l’intérêt que pourrait présenter cet accès. Dans une société démocratique, la police, de par les nombreuses réglementations et contrôles qui encadrent son travail, présente plus de garanties de protection des droits individuels que les services de sécurité et de renseignement qui, par nature, travaillent dans l’ombre, et traitent des données de manière moins transparente. Bien que l’information policière puisse être utile à une enquête de renseignement, nous considérons que des garanties doivent être maintenues afin d’assurer la proportionnalité des traitements effectués dans le cadre respectif de chacune de ces finalités ainsi que pour sauvegarder l’effectivité des droits de personnes connues des services de police sans pour autant être liées à des faits menaçant la sécurité nationale.

La confusion des rôles opérée par la proposition de loi nous paraît d’autant plus problématique étant donnée la large possibilité réservée à la police de procéder au fichage biométrique de la population sans préciser quelles modalités (empreintes digitales, voix, iris, démarche) peuvent être collectées et sans que cette pratique soit explicitement limitée à certaines catégories de personnes, par exemple, parce qu’elles sont suspectées d’infractions particulièrement graves. La proposition de loi s’abstient également de soumettre explicitement de tels traitements biométriques, sources de risques élevés pour les droits et libertés des personnes concernées, à la consultation préalable de l’Organe de contrôle.

En outre, la LDH se pose la question de la proportionnalité de la collecte et du traitement d’informations dites « sensibles » sur les personnes (par exemple leurs opinions politiques, convictions religieuses, appartenance syndicale, orientation sexuelle) sans qu’aucune nécessité absolue doive être démontrée par les forces de l’ordre et sans prévoir de garde-fous contre des mesures discriminatoires. De même, la possibilité donnée aux services de police de collecter et de traiter des données concernant la santé de toute personne, y compris en cas de simple intervention administrative, afin de les aider dans leur travail et de prévenir tout risque de contamination, mérite davantage de garanties explicites dans la proposition de loi. À cet égard, l’on se souvient qu’en 2003, le Comité P avait constaté dans plusieurs dossiers que ce type d’informations était utilisé un peu trop à la légère. Dans un cas précis, il s’agissait d’une personne qui aurait été porteuse du virus du sida et aurait eu l’intention de contaminer les fonctionnaires de police lors d’une intervention policière éventuelle. Il est ressorti de l’enquête menée par le Comité P et par l’Organe de contrôle que l’information enregistrée reposait uniquement sur des rumeurs verbales, qu’il n’y avait aucune justification judiciaire ou administrative, que l’information reçue n’avait pas été évaluée de manière approfondie et qu’il n’y avait pas d’intérêt concret. Afin d’éviter ce genre de déboires, la LDH estime que la proposition de loi devrait, à tout le moins, prévoir explicitement des critères précis d’évaluation de la qualité de telles données, une procédure de validation ainsi qu’un mécanisme permettant à l’Organe de contrôle d’être averti activement que de telles données ont fait l’objet d’une validation avant leur transmission ou mise à disposition dans les bases de données policières.

De manière plus générale, la LDH s’inquiète de la délégation de pouvoir opérée par la proposition de loi au bénéfice de « directives » des ministres de l’Intérieur et de de la Justice en ce qui concerne les aspects relatifs à la fiabilité des informations traitées dans les banques de données. En effet, nous considérons que la qualité des informations utilisées par les policier·ère·s dans leurs missions légales est tant un facteur critique de succès de cette action qu’une garantie complémentaire de protection des droits des personnes. En d’autres mots, le fait que les policier·ère·s ne stockent et n’utilisent que des informations solides, confirmées et vérifiées nous semble être un aspect fondamental d’une fonction de police guidée par l’information. Par conséquent, dans un souci de respect de la séparation des pouvoirs, la LDH estime que ces éléments essentiels de fiabilité devraient être encadrés par le législateur et non par le pouvoir exécutif.

Dans le même esprit, les principaux éléments relatifs aux conditions d’accès aux banques de données et aux modalités de leurs potentielles interconnexions nous semblent devoir être prévues par la loi plutôt que par des « directives » dont la forme mais également le caractère opaque nous pose question. Cet aspect est particulièrement important, vu l’ambition de la proposition de loi de concrétiser le concept d’ « i-Police » en permettant davantage de traitements dans les banques de données policières par le biais de leurs interconnexions. Dans la version envisagée, la LDH considère que lesdites interconnexions augmentent d’autant plus le risque de non-fiabilité des données traitées, avec pour conséquence que des policier·ère·s puisse utiliser encore davantage d’informations non-vérifiées dans le cadre de leurs missions de police judiciaire et administrative, ce qui pose tant de questions en termes d’efficacité du travail policier que de protection des libertés fondamentales des individus. Selon la LDH, une proposition de loi avec de tels points d’interrogation et d’inquiétudes ne peut pas être adoptée à la sauvette en fin de législature sans un débat approfondi et à la lumière des avis du Conseil d’Etat et de l’Organe de Contrôle. Il y va de la crédibilité du débat parlementaire.

8 avril 2019