Liberté pour Assange, journaliste, prisonnier politique

OPINION Nous en appelons au gouvernement belge : Julian Assange est un prisonnier politique dont la santé se dégrade de jour en jour. Il est plus que temps que la Belgique se mobilise. Il en va de nos droits fondamentaux. Une opinion signée par une dizaine d’associations et quelque 120 personnalités.

© D.R.

Depuis 2012, l’action conjointe de la Suède, du Royaume-Uni, et des États-Unis, et plus récemment de l’Équateur, a arbitrairement placé le journaliste Julian Assange dans l’impossibilité de jouir de sa liberté, de se défendre des griefs qui lui sont adressés et d’exercer sa liberté d’expression. Ses jours sont en danger. Nils Melzer, le rapporteur spécial des Nations unies contre la torture et autres traitements inhumains et dégradants, écrit que « ses droits ont été systématiquement bafoués à tous les stades de la procédure » et qu’ »en 20 ans de travail avec les victimes de la guerre, de la violence et de la persécution politique« , il n’a jamais vu « un groupe d’États démocratiques s’unir pour isoler, diaboliser et maltraiter délibérément un seul individu depuis si longtemps et avec si peu de respect pour la dignité humaine et l’État de droit« .

Espionné 24h/24
En effet, Julian Assange a séjourné près de sept ans à l’ambassade d’Équateur à Londres, où il avait trouvé refuge pour échapper à une extradition vers la Suède en vue d’y être interrogé sur des allégations de viol. Cette enquête a délibérément traîné, il n’a jamais été formellement accusé pour ces faits, et la justice a finalement renoncé à ouvrir des poursuites dépourvues de fondement. Pour Assange et ses avocats, il s’agissait d’un prétexte et le prélude d’une extradition vers les États-Unis. Les experts des Nations unies ont confirmé ce point de vue.

Dans l’espace exigu de l’ambassade d’Équateur, un dispositif d’espionnage sophistiqué, connecté à la CIA, a observé les moindres faits et gestes de Julian Assange. En avril 2019, l’Équateur l’a déchu de sa nationalité équatorienne, a mis fin à son droit d’asile et a invité la police britannique à l’arrêter dans l’ambassade. Ses affaires personnelles (GSM, ordinateur, etc.) ont été confisquées et expédiées aux États-Unis. Il est désormais incarcéré à la prison de haute sécurité de Belmarsh, près de Londres, dans l’attente d’une décision sur son extradition vers les États-Unis, attendue pour février 2020.

Sa santé en danger
À l’isolement, privé de son dossier et sans moyen sérieux de préparer sa défense, sa santé s’est gravement détériorée. Craignant pour ses jours, de nombreux médecins et le rapporteur spécial de l’Onu – ce dernier encore très récemment – ont interpellé à deux reprises les autorités anglaises pour demander son transfert dans un hôpital. En vain.

Julian Assange est le fondateur de Wikileaks. Cette plateforme est un média d’information. Ses membres sont journalistes et/ou éditeurs. Les dossiers qu’elle publie (par exemple les pratiques de torture à la prison de Guantanamo, la surveillance par la NSA de chefs d’État européens, des scandales écologiques comme l’affaire Trafigura, certains chapitres du TTIP, des crimes de guerre en Irak et en Afghanistan…) sont rigoureusement vérifiés et régulièrement relayés ou utilisés par de grands médias nationaux comme le Monde, le New York Times et le Guardian.

Inventé par Wikileaks, le système de collecte et de diffusion anonymes d’informations d’intérêt général, via Internet – qui permet de protéger les lanceurs d’alerte – est en fait au cœur de l’accusation pénale américaine. La publication en 2010 des « journaux de guerre » de l’armée américaine en Afghanistan et en Irak, et celle de nombreux « câbles » des ambassades américaines dans le monde vaut à Assange et Wikileaks la vindicte des États-Unis. Elle est la base de la requête d’extradition américaine, qui invoque même l’Espionage Act de 1917. Aux termes de cet « Espionnage Act », Julian Assange encourt 175 ans de prison s’il est extradé aux États-Unis.

La procédure dont ce journaliste est victime est historique. Pour la première fois dans l’histoire des États-Unis, le gouvernement invoque des charges d’espionnage contre un éditeur pour la publication d’informations véridiques. Sa source, Chelsea Manning, a été réincarcérée après avoir été graciée par le président Obama. Elle fait l’objet d’un chantage : pas de libération tant qu’elle ne témoigne pas contre Assange.

En réalité, à travers ces poursuites, c’est non seulement l’ensemble du travail et de l’existence de Wikileaks – dont tous les membres sont harcelés – qui est visé, mais c’est le métier même de journaliste, la liberté de la presse et le droit de chacun d’entre nous à l’information qui sont menacés, comme le rappelle une lettre signée par des centaines de journalistes dans le monde.

Libération immédiate
Toutes les appréciations diverses que l’on peut porter sur Wikileaks et Julian Assange doivent s’effacer devant le constat de ces atteintes aux droits fondamentaux. « Je suis sans défense et je compte sur vous pour me sauver la vie« , a déclaré Julian Assange.

Citoyens, journalistes, artistes, organisations de défense des droits fondamentaux, nous voulons défendre la liberté d’expression, la liberté de la presse, et notre droit de savoir.

Nous demandons la libération immédiate de Julian Assange, la préservation de sa santé et de son intégrité, le respect de ses droits fondamentaux. Nous demandons que la Belgique reconnaisse Julian Assange comme prisonnier politique, envoie des observateurs à son procès, lui accorde sa protection et mette en œuvre tous les moyens nécessaires pour obtenir le rejet de la requête américaine d’extradition ainsi que sa libération, pour l’accueillir, lui octroyer un permis de séjour, et lui dispenser tous les soins que requiert son état de santé.

Version originale et liste des signataires

27 janvier 2020