Légalité des mesures Covid : la Ligue des droits humains n’exécute pas les astreintes pour l’instant afin de permettre des débats sereins au Parlement

Le 31 mars 2021, suite à une action introduite par la Ligue des droits humains (LDH) et la Liga voor Mensenrechten, le tribunal de première instance de Bruxelles a ordonné à l’Etat belge d’adopter une loi afin d’encadrer les mesures exceptionnelles prises dans le cadre de la pandémie et ce dans un délai de 30 jours. Une astreinte de 5.000 EUR par jour est due à la LDH si l’Etat ne se conforme pas à la décision. 30 jours plus tard, la loi pandémie n’est pas votée. La LDH ne souhaite cependant pas exécuter les astreintes à ce stade. Elle estime que la priorité doit être le débat public et démocratique pour aboutir à une loi solide et respectueuse des droits et libertés de tou·te·s les citoyen·ne·s.

Réunie en Conseil d’administration ce 29 avril 2021, la Ligue des droits humains (LDH) a constaté que l’ordonnance du tribunal de première instance n’est pas exécutée dès lors que la base juridique n’est toujours pas adéquate à ce jour. Bien que les astreintes soient donc dues, la LDH a provisoirement décidé de ne pas les réclamer, considérant que la condamnation du gouvernement par le pouvoir judiciaire quant à l’illégalité des mesures constitue déjà une victoire essentielle.

La LDH regrette toutefois profondément la fuite en avant sécuritaire de l’exécutif et le mépris à l’égard du pouvoir judiciaire exprimé à l’occasion de cette décision de justice. La LDH rappelle que le respect de la séparation des pouvoirs est essentiel dans un État de droit, pour la protection de toutes et de tous contre l’arbitraire.

L’objectif de cette action en justice était d’instaurer un véritable débat démocratique afin d’aboutir à une loi respectueuse des droits humains, des libertés publiques et du principe de légalité. La protection des droits fondamentaux, y compris du droit à la vie et à la santé, est trop importante que pour être concrétisée par des normes bancales. 

Or, en l’état, le projet de loi ne respecte pas suffisamment les droits et libertés. Il ne garantit pas le respect du principe de légalité et l’existence d’un véritable débat démocratique pour la gestion de la pandémie de Covid-19 et pour les pandémies futures. Ce projet de loi aura des conséquences concrètes préoccupantes pour les citoyen·ne·s (notamment, les pouvoirs très importants accordés aux bourgmestres et aux gouverneurs, l’absence de réelle possibilité de blocage des mesures par le Parlement et des sanctions pénales lourdes et indifférenciées en cas de non-respect des mesures sanitaires).

Ainsi, notamment, les points suivants dans l’avant-projet demeurent problématiques et doivent faire l’objet d’un examen attentif par les parlementaires :

  • L’article 4,§2, du projet crée une nouvelle police administrative locale dans des termes beaucoup trop larges et imprécis. Les pouvoirs des gouverneurs et des bourgmestres en situation d’urgence épidémique sont presque illimités. Le minimum serait de déterminer l’objet, la portée, le champ d’application et la nature des mesures que les gouverneurs et les bourgmestres peuvent prendre en situation d’urgence épidémique et de prévoir une confirmation par le conseil communal ou par le conseil provincial desdites mesures (par exemple, ces autorités peuvent-elles imposer un couvre-feu? Dans quelles conditions peuvent-elles interdire l’accès au territoire communal ou provincial?).
  • L’article 4, §3, du projet doit prévoir la confirmation par la loi de toutes les mesures prises par arrêté royal ou arrêté ministériel endéans un délai précis, par exemple d’une semaine. La confirmation par la loi des arrêtés royaux constatant une situation d’urgence épidémique n’est vraiment pas suffisante : il faut prévoir la confirmation des arrêtés royaux et ministériels édictant les mesures de police administrative pour faire face à une pandémie. En l’état actuel du texte, la confirmation par le Parlement de la situation d’urgence épidémique équivaut à une forme de blanc-seing conféré par le Parlement au Gouvernement pour gérer la situation d’urgence épidémique, puisque le Parlement ne doit pas confirmer par la suite les arrêtés royaux ou les arrêtés ministériels déterminant concrètement les mesures.

La LDH et l’Institut Fédéral des Droits Humains avaient déjà attiré l’attention sur les dérives de ce projet, comme d’ailleurs de nombreux experts, organisations et institutions.

La LDH se réserve la possibilité d’agir en annulation devant la Cour constitutionnelle si la loi adoptée ne rencontrait pas les standards démocratiques précités.

30 avril 2021