Le respect du secret professionnel doit rester la règle en matière d’aide à la jeunesse

Ce 15 janvier, à la suite d’une demande de la Ligue des droits humains, la Commission de déontologie de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse a remis un avis

[1] critiquant l’obligation, pour le personnel de l’aide à la jeunesse, de signaler les situations liées au phénomène de radicalisation violente, imposée par deux circulaires[2] prises par l’Administratrice générale de l’aide à la jeunesse. La Commission estime que cette obligation s’inscrit dans un contexte prioritairement sécuritaire et contrevient au respect du secret professionnel.

En 2017, dans le but de lutter contre les effets du phénomène dit « de radicalisation violente[3] » et de venir en aide aux acteurs de terrain, l’Administratrice générale de l’aide à la jeunesse communiquait deux circulaires qui obligeaient le personnel du secteur de l’aide à la jeunesse à informer son supérieur hiérarchique en cas d’inquiétude de radicalisation dans un dossier ou lorsque celle-ci est clairement identifiée.

Alors que le Code de déontologie de l’aide à la jeunesse prévoit la possibilité pour un intervenant de signaler une situation susceptible de compromettre gravement la sécurité lorsqu’il estime ne pas pouvoir l’assumer valablement et que l’action d’un autre intervenant serait plus appropriée[4], les circulaires parlent d’une obligation pour l’intervenant.

Dans son avis, la Commission reconnaît que le phénomène dit de « radicalisation violente » interpelle et qu’il est utile de placer des repères pour les intervenants en charge de mineurs afin de s’orienter dans cette nouvelle problématique. Toutefois, l’obligation pour ces professionnels de remettre régulièrement leurs pratiques en question et de les adapter en fonction de l’évolution du contexte sociétal est déjà prévu par les alinéas 1 et 2[5] de l’article 4 du Code de déontologie. De plus, la Commission relève que l’un des objectifs des circulaires, à savoir la communication des situations liées à la radicalisation violente, viole l’alinéa 3 de ce même article 4 qui prévoit que « Ces pratiques professionnelles ne peuvent s’inscrire dans un contexte prioritairement sécuritaire ou répressif. ».

Finalement, et surtout, la Commission constate que ce même objectif viole l’article 12 du Code de déontologie qui consacre le respect du secret professionnel, garant de la confiance devant exister entre un intervenant et un bénéficiaire de l’aide. Elle relève que l’article 12 autorise, en cas de nécessité, la transmission éventuelle et spécifique à l’autorité compétente mais que c’est la transmission obligatoire et à l’attention du service de l’administration centrale de l’Aide à la Jeunesse qui pose problème.

Elle rappelle la nécessité de veiller au respect du secret professionnel par obligation légale, l’article 458 du Code pénal concernant le secret professionnel. La Commission revient enfin sur les conditions strictes du secret professionnel partagé qui n’est autorisé qu’avec l’accord du bénéficiaire de l’aide, avec des personnes qui sont tenues elles-mêmes au secret professionnel et qui agissent dans le cadre d’une mission commune, c’est-à-dire qui poursuivent des finalités compatibles entre elles.

Entre-temps, la circulaire a été retirée par l’Administration de l’Aide à la Jeunesse. Cependant, La LDH se réjouit d’une telle prise de position dans un contexte où les priorités sécuritaires prennent aisément le pas sur le respect des libertés fondamentales. La Ligue confirme encore son opposition face à l’usage de la lutte contre le terrorisme comme prétexte pour porter atteinte au droit à la vie privée et au respect du secret professionnel, pilier du travail social. Le secret professionnel représente une obligation pour le professionnel et un droit pour le bénéficiaire. Il protège la vie privée du mineur et son droit à l’aide médicale, psychologique, sociale, juridique… Le secret professionnel est aussi d’ordre public, il représente une valeur pour la société dans son ensemble. Sans professionnels de l’aide et du soin pouvant garantir, par la confidentialité, notre droit à la vie privée, notre société ne pourrait pas fonctionner ! Le secret professionnel protège donc les intérêts des individus, des professionnels et de la société dans son ensemble en ce qu’il participe à la cohésion sociale.

[1] Avis 217 du 15.01.2020, consultable sur le site de la CDAJ, http://www.deontologie.cfwb.be/index.php?id=8127#c16651.

[2] Circulaire du 07.09.2017 à l’attention des Conseillers et Directeurs de l’aide à la jeunesse au sujet des procédures de communication à suivre dans des situations supposées de radicalisation violente et circulaire du 12.10.2017 à l’attention des Directeurs des IPPJ, du Directeur du CCJD, des Coordinateurs des SAMIO et de leurs services, relative à la communication des situations liées au phénomène de radicalisation violente.

[3] « Par radicalisation violente, on désigne l’engagement d’un individu ou d’un groupe dans un projet politique en rupture avec l’ordre existant, fondé sur une idéologie qui rejette le pluralisme et la diversité, et qui considère que, malgré le caractère démocratique de notre système, la violence est un moyen légitime pour atteindre ses objectifs. », définition de la Fédération Wallonie-Bruxelles, https://extremismes-violents.cfwb.be/a-propos/definitions/.

[4] Art. 11, al. 3.

[5] Les intervenants ont un devoir de formation et d’information permanentes.

Ils ont l’obligation de remettre en question régulièrement leurs pratiques professionnelles et veillent à les adapter à l’évolution des connaissances et des conceptions.

11 mai 2020