Le Conseil d’État suspend les auditions par vidéoconférence des demandeurs d’asile en centres ouverts

Ce 7 décembre 2020, le Conseil d’État a suspendu « les règles énoncées par le Commissaire général aux réfugiés et aux apatrides dans l’acte du 18 novembre 2020, qui organisent, à court terme, des entretiens par vidéoconférence des demandeurs d’asile séjournant dans des centres ouverts et qui prévoient les modalités de ces entretiens ».

Le recours en extrême urgence avait été introduit par AVOCATS.BE, la Ligue des droits humains, le CIRÉ, NANSEN et Vluchtenlingenwerk Vlaanderen.

Depuis 2016, le CGRA organise des auditions par vidéoconférence des demandeurs d’asile détenus dans les centres fermés. À l’occasion de la pandémie, le CGRA a prétendu étendre ce procédé aux demandeurs d’asile hébergés dans des centres ouverts. La volonté était claire : la vidéoconférence avait vocation à s’appliquer définitivement aux auditions en asile.

Elle est pourtant particulièrement mal adaptée aux auditions des demandeurs d’asile. Elle ne permet pas de refléter le langage non verbal, qui est important lorsqu’il s’agit de décrire des situations stressantes, des mauvais traitements, vécus ou craints. Elle empêche la vision directe, yeux dans les yeux, du demandeur et de l’Officier de protection, ce qui joue un grand rôle pour juger la crédibilité du récit. S’imagine-t-on, par ailleurs, le demandeur d’asile devoir reprendre à plusieurs reprises l’exposé de tortures ou maltraitances, suite à des coupures de réseau ? En outre, l’interprète se trouve aux côtés de l’agent de protection. Donc, loin du demandeur d’asile dont il doit traduire les propos. Ce n’est pas propice à établir la confiance que le candidat réfugié doit pouvoir accorder à son interprète.

D’autre part, à l’instar d’autres plateformes de vidéoconférence, le choix du système Skype for Business ne garantissait aucune confidentialité : les données transmises passent par ses serveurs et peuvent être interceptées, en pleine conformité au droit américain, par différents services et agences de sécurité américains. On imagine difficilement qu’un juge ou un général turc demandant l’asile en Belgique (il y a de nombreux cas), puisse s’exprimer sereinement par Skype s’il sait que ses propos peuvent être interceptés par les services américains…

Le Conseil d’État a motivé sa censure par le fait ce que ce n’était pas le CGRA qui pouvait décider d’entendre les demandeurs d’asile par vidéoconférence. Un arrêté royal était nécessaire. Les requérants avaient formulé d’autres moyens, liés de près ou de loin au risque d’atteinte à l’indispensable confidentialité. S’ils n’ont pas été retenus par le Conseil d’État c’est parce que le seul moyen d’incompétence du CGRA pour adopter cette mesure suffisait, mais ils n’en gardent pas moins toute leur pertinence. Lors de l’audience, le premier auditeur a d’ailleurs très fortement critiqué ce type d’auditions, tant celles prévues pour les centres ouverts que celles déjà en place dans les centres fermés, estimant qu’elles ne respectent pas les critères de confidentialité essentiels dans une procédure d’asile.

L’avenir dira la suite que le CGRA et le secrétaire d’État à l’Asile et la Migration réserveront à ce projet. Nos associations restent mobilisées. Tant à l’égard des auditions par vidéoconférences en centres ouverts, qu’en centres fermés.

Signataires :

Avocats.be
CIRÉ asbl
Ligue des droits humains
Nansen
Vluchtelingenwerk Vlaanderen

10 décembre 2020