La Suisse condamnée pour avoir infligé une amende à une personne qui mendiait. À quand le tour de la Belgique ?

Ce 19 janvier 2021, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la Suisse pour l’amende de près de 500 euros imposée à une jeune femme issue d’une famille “extrêmement pauvre” dont le seul tort était d’avoir mendié sur la voie publique [1]. Incapable de payer cette somme, elle fut détenue en prison pendant cinq jours. La Cour souligne la disproportion de la sanction, l’absence complète de prise en compte de la situation socio-économique de la requérante et estime que la peine porte atteinte à sa dignité humaine. La Suisse est dès lors condamnée pour violation du droit à la vie privée et familiale.

En Belgique aussi, des règlements communaux autorisent la poursuite des personnes les plus vulnérables si elles ont recours à la mendicité. Différentes communes du pays ont ainsi été critiquées pour leurs arrêtés anti-mendicité, conduisant la Ligue des droits humains (LDH) à constater « qu’on [y] persécute les mendiants, pas la pauvreté »[2]. La LDH demande la suppression de tous les règlements pénalisant directement ou indirectement l’acte de mendicité et enjoint les autorités à porter leurs efforts pour adresser les causes – la pauvreté, les inégalités – plutôt que d’en condamner les victimes.  

La mendicité cristallise de nombreux préjugés – les clichés anti-Roms et Gens du voyage, les « salauds de pauvre » chers à Coluche, les prétendus réseaux criminels derrière chaque personne mendiante, etc. – qui engendrent mépris, exclusion sociale et, parfois, certaines violences, symboliques ou non, dont elles sont les premières victimes. Or, loin de s’attaquer aux causes de la mendicité en privilégiant une approche reposant sur les aides et l’assistance sociale, les autorités communales ont eut recours à des pratiques répressives pour interdire, encadrer ou limiter la visibilité de la mendicité sur leur territoire au nom de leurs prérogatives en matière de sauvegarde de la salubrité, la sécurité et la tranquillité publiques. Ces interdictions ont régulièrement un fondement juridique douteux, dès lors que le délit de mendicité a été aboli en Belgique en 1993 et qu’il s’agit en outre de comportements visant à garantir le respect de la dignité humaine et le droit à la vie privée.

Les exemples ne manquent pas : en assimilant l’acte de mendicité à un trouble à l’ordre public, de nombreuses communes se sont dotées de dispositifs qui, s’ils ne constituent pas une interdiction pure et simple, relèvent d’un régime à ce point complexe qu’il s’assimile à une prohibition de fait (rotation des autorisations de mendier dans le temps et dans l’espace, éloignement des centres commerçants, etc.). Qui plus est dont le non respect peut faire l’objet de sanctions pénales, voire de privation de liberté en cas de récidive.

Ce faisant, les communes se trompent de combat. Sous prétexte de défendre l’ordre public, elles limitent le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine en privant de moyens d’existence la partie de la population la plus précarisée. Sans nécessairement nier la vulnérabilité des personnes mendiantes, elles concourent à les considérer comme des nuisances sociales.

Dans son arrêt Lăcătuş c. Suisse du 19 janvier 2021, la Cour européenne des droits de l’homme rappelle que « la mesure par laquelle la requérante, qui est une personne extrêmement vulnérable, a été punie pour ses actes dans une situation où elle n’avait très vraisemblablement pas d’autres moyens de subsistance et, dès lors, pas d’autres choix que la mendicité pour survivre, a atteint sa dignité humaine et l’essence même des droits protégés par l’article 8. ». Il est impératif que les autorités communales belges en tirent les conclusions qui s’imposent, revoient les arrêtés liberticides et renforcent leurs politiques de lutte contre la pauvreté. Le recours au droit pénal pour lutter contre la pauvreté n’est pas une solution, c’est une impasse. Et, la Cour vient de le rappeler, c’est illégal.

[1] Arrêt Lăcătuş c. Suisse du 19 janvier 2021, requête n° 14065/15.

[2] Carte blanche signée par la Ligues des droits humains, Paul Martens, président émérite de la Cour constitutionnelle, et 43 personnes mendiantes liégeoises en 2019, publiée sur Le Vif le 20 novembre 2019 : https://www.levif.be/actualite/belgique/a-liege-on-persecute-les-mendiants-pas-la-pauvrete/article-opinion-1218577.html.

Le 22 janvier 2020