La réforme du Code d’instruction criminelle soulève de sérieuses questions

À l’heure où une nouvelle proposition de loi visant à réformer le Code d’instruction criminelle est déposée à la Chambre, en pleine crise sanitaire, politique et sociale, il convient de rappeler qu’une réflexion approfondie doit être menée sur les orientations présidant aux réformes des Codes pénal et d’instruction criminelle.

En effet, ces derniers n’ont jamais fait l’objet de réformes d’ampleur, mais bien de réformes disparates et répétées, rendant ces codes peu lisibles et, pour partie, anachroniques (le Code d’instruction criminelle date du 17 avril… 1878. Et le Code pénal date du 8 juin… 1867 !). Par ailleurs, l’inadaptation du Code pénal a également pour conséquence de favoriser la surpopulation carcérale.

Une réflexion sur les incriminations et les peines est impérative, nombre d’entre elles n’étant plus adaptées à la société actuelle. La réforme du Code pénal entreprise par le gouvernement précédent est un cas désolant. Alors que d’éminents spécialistes ont été mandatés pour proposer une telle réforme, et après que ceux-ci ont abattu un travail considérable, ils ont été contraints de démissionner de la Commission de réforme. En cause, la façon dont le gouvernement a modifié le projet initial présenté par la Commission, notamment en replaçant l’emprisonnement au centre de la répression pénale, ce qui n’est pas susceptible de diminuer la population carcérale. Or les criminologues sont unanimes : l’emprisonnement est criminogène et les longues peines de prison sont inutiles et inefficaces. La  réforme  du  Code  pénal  devrait  donc  se poursuivre  sur  les  bases  posées  par  les  experts  de  la Commission de réforme.

Quant  à  la  réforme  de  la  procédure  pénale,  elle a fait l’objet de nombreuses critiques, venant d’horizons divers. Si la nécessité de dépoussiérer notre droit en la matière est manifeste et incontestable, les options choisies par le précédent gouvernement, et redéposées à la Chambre cette semaine, posent de nombreuses questions. Il en est ainsi de la suppression du juge d’instruction et de l’instauration du juge de l’enquête, du statut du ministère public, de la définition et du rôle de la politique criminelle, de la suppression de la possibilité de se constituer partie civile ou de citer directement devant le tribunal correctionnel et, enfin, de la nécessité d’un régime de sanction de la preuve irrégulière plus cohérent. Sur chacun de ces points, la Ligue des droits humains a proposé une analyse fouillée mettant en évidence des positions critiques mais, également, des propositions constructives dans une analyse disponible en ligne qui reste d’actualité.

Les questions qui se posent donc à l’occasion du dépôt de ce nouveau texte sont les suivantes :

– quelle urgence y a-t-il à introduire maintenant ce projet controversé, notamment auprès des magistrat·e·s, sans consultation complémentaire ? Une mise en œuvre rapide et efficiente d’une réforme d’une telle ampleur requiert que les principaux intéressés comprennent, si ce n’est adhèrent, au projet ;

– cette réforme ne risque-t-elle pas de mettre en péril l’égalité des citoyen·ne·s devant la justice pénale ? Le renforcement d’un système accusatoire, sans contre-pouvoirs suffisants de la défense, risque d’être problématique. D’autant plus pour les citoyen·ne·s les plus précarisé·e·s en l’absence d’un système suffisant d’aide juridique ;

– la cohérence n’impose-t-elle pas d’aboutir au préalable dans la réforme du Code pénal, entamée il y a plus de 4 ans ?

À défaut de répondre à ces questions préalables, l’examen du projet de loi précité nous semble prématuré.

28 mai 2020