Le droit au logement toujours bloqué sous une épaisse couche de glace

A première vue, le recours à des ordonnances de police pour permettre l’arrestation des personnes sans-abri par temps de grand froid semble être une mesure de bon sens, portée par la volonté de répondre à une urgence humanitiare. Une mesure répressive prise « pour le bien » de ces personnes sans-abri donc… alors que les bourgmestres ont le pouvoir de faire beaucoup plus pour apporter une solution structurelle à la question du sans-abrisme.
Il ne faut pas gratter bien fort le givre de la communication politique pour trouver une épaisse couche d’hypocrisie glacée sous cette mesure.

Tout d’abord, cette mesure semble a priori illégale. Rien ne fonde dans la nouvelle loi communale ni dans la loi sur la fonction de police une quelconque compétence du Bourgmestre par rapport à ce type de situation : le fait de dormir dehors n’est pas ipso facto un trouble à l’ordre public. Par ailleurs, la privation de liberté pour ce type de faits nous ramène plus de 20 ans en arrière, avant que le « vagabondage » ne soit dépénalisé et le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine inscrit dans la Constitution. Rappelons à cet égard que la Cour européenne des droits de l’Homme a également exprimé des réticences quant à la privation de liberté de personnes « pour leur bien ».

Mais les questions de l’urgence et de la légalité ne sont que le sommet de l’iceberg derrière lequel se cache le véritable enjeu – et donc la vraie hypocrisie – de ces mesures à la fois répressives et paternalistes.

Car ce qui pose question, c’est que les bourgmestres ne trouvent pas intolérable, en toute saison, que des personnes puissent dormir dans la rue, et qu’ils n’agissent pas avec la même urgence, au printemps, en été, ou en automne, pour que ces personnes puissent enfin jouir de ce droit fondamental qu’est le droit au logement. Et les associations actives auprès des sans-abri le soulignent : les sans-abri meurent autant en été qu’en hiver…

Si les bourgmestres souhaitent vraiment venir en aide à l’immense majorité de ces personnes, ils ont le pouvoir – légal celui-ci – d’agir concrètement, durablement et structurellement pour les sans-abri, notamment en réquisitionnant les immeubles vides. Rien qu’à Bruxelles, il y aurait, selon la Cellule Logements Inoccupés de la Région bruxelloise, près de 50.000 immeubles vides (chiffres 2015).

Arrêter des personnes « pour leur bien » pour les envoyer dans des hôpitaux ou des abris de nuit ne règle la situation que pour un très court terme. Cette politique de l’urgence constitue en réalité le baromètre de l’échec des politiques publiques de lutte contre le sans-abrisme pendant l’année, en amont de la vague de froid annuelle.

A l’heure où certains bourgmestres agissent dans la précipitation, d’autres donnent gratuitement des logements aux sans-abri, que ce soit à Grenoble ou en Finlande. Des mesures qui coûtent in fine moins cher à la collectivité et qui respectent pleinement le droit au logement et la dignité humaine de ces personnes précarisées. Chez nous, les législations de mise à disposition des logements vides aux sans-abri existent mais ne sont pas utilisées.

La communication politique autour de ces mesures d’urgence est d’autant plus cynique qu’elle se pare des attributs de la bonne volonté. Or, il n’est plus question, face à l’ampleur et au développement du sans abrisme de bonne volonté mais bien de responsabilité politique. Et il y a en effet, en la matière, urgence à agir.

A titre d’information, lire le guide co-rédigé par la LDH en 2014 :  Comment faire respecter le droit au logement à Bruxelles ? Avis aux bourgmestres

28 février 2018