Abus policiers dans le cadre du confinement : le rapport de Police Watch

Le 10 juin 2020, le Ministre de la Sécurité et de l’Intérieur, Pieter de Crem, déclarait : « Il n’y a pas de problème de racisme structurel au sein de la police » en s’appuyant notamment sur le fait que « Peu de plaintes pour racisme sont déposées auprès du Comité P, soit 45 entre avril et décembre 2017, alors que les corps de police comptent quelque 50 000 personnes. Et la majorité des plaintes sont qualifiées comme non-fondées ». Police Watch, l’observatoire des violences policières de la Ligue des droits humains, a lancé une campagne de récolte de témoignages spécifique à la période de confinement. En deux mois et grâce à la collaboration de partenaires, plus d’une centaine de témoignages ont été récoltés. Ces témoignages ont fait l’objet d’une analyse publiée aujourd’hui sous forme dun rapport. Sans prétendre à une représentativité statistique, les constats effectués mettent sérieusement à mal les propos du Ministre de la Sécurité et de l’Intérieur.

Alerté par de nombreux témoignages d’abus policiers circulant sur les réseaux sociaux et dans la presse ainsi que par les actrices et acteurs de terrain avec lesquels travaille la Ligue des droits humains (LDH), PoliceWatch, l’observatoire des violences policières de la LDH, a décidé de lancer le 20 avril une campagne de récolte de témoignages spécifique à la période du confinement.
Tout fraichement lancé un mois plus tôt, Police Watch pouvait en effet compter sur des outils préalablement réfléchis et conçus pour ce type de situation : un site web destiné à informer les victimes de leurs droits et à récolter des témoignages via des formulaires en ligne sécurisés.
Au total, plus d’une centaine de témoignages ont été reçus via ces formulaires pour des faits se déroulant entre le 18 mars et le 29 mai 2020. Après examen, 54 d’entre eux ont pu être validés auxquels s’ajoutent 10 témoignages reçus via les permanences de la LDH et 11 témoignages anonymysés transmis dans le respect des règles déontologiques par des associations et institutions partenaires. A cet échantillon de 75 témoignages pour une période de 3 mois (13 semaines) s’ajoute l’aperçu anonymysé de 27 dossiers de signalement d’abus policiers transmis par UNIA dont les éléments ont été analysés séparément pour respecter le statut différent de ces témoignages.
Sans prétendre à une représentativité statistique – ce travail statistique devrait être entrepris par l’Etat belge à l’instar d’autres pays européens –, ce corpus de 102 témoignages nous permet de poser une série de constats qui recoupent largement ceux des collectifs de lutte contre les violences policières (tels que le collectif Blédartes, JOC, Bruxelles Panthères, collectif des Madres, etc.) et des organisations et institutions concernées (aide à la jeunesse, Médecins du Monde, etc.) :
Alors que les mesures prises par les autorités traduisent une gestion uniforme de l’épidémie pour l’ensemble de la population, accroissant ainsi la pression sur les populations déjà en difficulté avant l’épidémie, le suivi policier de ces mesures apparait, lui, différencié :
  • 98% des abus allégués ont eu lieu dans les trois provinces les plus pauvres du pays tandis qu’à Bruxelles, 71% des abus rapportés ont eu lieu dans le croissant pauvre.
  • 53% des personnes estiment avoir fait l’objet d’un traitement discriminatoire.
  • 4 facteurs semblent augmenter la probabilité d’être victime d’abus : être jeune (55%), être racisé.e (40%), avoir des idées et/ou agir pour la solidarité (17%), être en situation de précarité (15%).
L’analyse fait ainsi ressortir une gestion de la crise à double standards qui produit des citoyen·ne·s de seconde catégorie dont l’État et la société tirent profit (travail mal payé et non-protégé, statut précaire) mais dépourvus de droits effectifs.Par ailleurs, les témoignages rapportent que certain·e·s policier·ère·s ne respectaient pas les gestes barrière (contrôles et fouilles sans gant ni masque, encellulement à plusieurs empêchant la distanciation physique, etc.). La contradiction entre l’objectif annoncé – faire respecter les mesures de protection contre le COVID-19 – et le résultat de l’intervention – mise en situation de contamination potentielle des personnes interpellées – pose la question de la nécessité et de la proportionnalité de l’usage de la contrainte par les forces de l’ordre.
Les témoignages reçus mettent également en évidence le déploiement régulier d’un nombre important de policier·ère·s pour des personnes montrant peu voire pas de résistance. La proportionnalité de ces déploiements peut ainsi être régulièrement posée.
On pourrait dès lors s’interroger sur la manière d’interpréter l’intention, consciente ou inconsciente, qui sous-tend ces interventions : s’agit-il de la protection des citoyen·ne·s ou de la démonstration d’un rapport de force ?
Dans leurs recommandations faites à L’État belge, le Comité pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du Conseil de l’Europe (CPT), le Comité contre la torture de l’ONU (CAT) et le Conseil des droits de l’homme de l’ONU stipulaient notamment que « L’État partie devrait prendre les mesures nécessaires pour lutter efficacement contre les mauvais traitements, y compris ceux fondés sur une quelconque forme de discrimination et en sanctionner les auteurs de manière appropriée »[1]. Malgré cela, il faut relever la persistance d’allégations de mauvais traitements par les forces de l’ordre[2], voire de condamnations par la Cour européenne des droits de l’homme[3].
Pour aller dans le sens de ces recommandations, l’État belge devrait notamment :
  1. Reconnaitre l’existence des abus policiers et mettre en place un monitoring de ceux-ci de façon à produire des chiffres officiels.
  2. Assurer la justification et la transparence grâce à l’enregistrement des contrôles et l’identification des agents sur le terrain, conformément à la loi.
  3. Garantir le droit de filmer les interventions des forces de l’ordre.
  4. Améliorer les relations entre la police et les communautés.
  5. Développer des mécanismes de plaintes accessibles, indépendants et efficaces, et prévoir un accompagnement des personnes concernées.

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[1] Comité contre la torture, Observations finales : Belgique, 19 janvier 2009, CAT/C/BEL/CO/2, § 13.
[2] Rapport au Gouvernement de la Belgique relatif à la visite effectuée en Belgique par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants (CPT), 8 mars 2018, CPT/Inf (2018) 8, §§ 12 et suivants.
[3] CEDH (G.C.), Bouyid c. Belgique, 28 septembre 2015.
16 juin 2020