Séjour des étrangers gravement malades : rien n’a changé !

OPINION Les recours contre les décisions d’octroi de séjour aux étrangers malades les empêchent de recevoir les soins médicaux requis et les placent dans une situation de grande précarité. Cela doit cesser.

©Blaise Dehon

En octobre 2015, face à la situation particulièrement préoccupante des migrants gravement malades, des médecins, des juristes et des travailleurs de terrain, du nord comme du sud du pays, ont publié un « livre blanc » consacré à l’article 9 ter de la loi sur les étrangers, qui traite des autorisations de séjour pour raisons médicales.

Concrètement, la demande 9 ter permet à ces migrants de solliciter le séjour en Belgique pour y être soignés, sur base de la production d’un certificat médical type, mais sans être examinés par les médecins de l’Office des étrangers (OE). Si la demande est recevable, l’OE examine si les soins sont disponibles et accessibles dans le pays d’origine ; s’ils ne le sont pas, le demandeur peut se voir octroyer un séjour d’un an, renouvelable sur demande.

Les dysfonctionnements
Le « livre blanc » rédigé par la Ligue des Droits Humains faisait état de très nombreux dysfonctionnements dans le traitement de ces demandes de séjour pour raisons médicales.

Tous les griefs alors établis sont encore d’actualité : examen hâtif, formalisme excessif, motivation insuffisante, absence d’examen du patient, défaut de consultation de son médecin traitant, non-respect des règles de la déontologie médicale, mépris des droits du patient. L’accessibilité et la disponibilité des soins dans le pays d’origine sont analysées sans partage des sources d’information. Les médecins mandatés par l’Office ne jouissent que de peu d’indépendance à son égard.

Les recours contre ces décisions placent l’étranger malade dans une situation de grande précarité, l’empêchant de recevoir dans de bonnes conditions les soins médicaux requis. Le recours au Conseil du contentieux des étrangers (CCE) n’étant pas suspensif, l’étranger risque l’expulsion pendant la procédure. Aucun examen clinique, aucun expert indépendant ne paraît pouvoir contredire l’avis du médecin-conseil de l’OE. Les étrangers gravement malades vivent entre-temps dans une grande insécurité, craignant d’être refoulés dans un pays où ils ne pourront bénéficier des soins requis.

Certains dossiers, qui s’étalent sur plusieurs années, connaissent un véritable carrousel de décisions irrégulières, successivement annulées ou retirées sans la moindre explication par l’administration elle-même.

Droits bafoués
Fin juillet 2016, le médiateur fédéral a publié un rapport d’enquête interpellant. Les constats dressés par les acteurs de terrain y sont entièrement confirmés : la situation des demandeurs de séjour gravement malades en Belgique est hautement préoccupante du point de vue des droits fondamentaux.

Le médiateur émet 26 recommandations. Il suggère notamment au législateur de préciser le délai de traitement des demandes et d’organiser un recours suspensif et de plein contentieux devant le CCE. Il invite l’administration à garantir la réelle autonomie de ses médecins conseillers, à assurer leur formation, à établir des standards d’appréciation communs et à considérer la situation individuelle des demandeurs.

Ces violations et atteintes graves aux droits fondamentaux ont conduit à la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). L’arrêt Paposvhili du 13 décembre 2016 rappelle que nos valeurs interdisent les traitements inhumains et dégradants.

L’article 9 ter doit être modifié.
Suite à ces multiples dénonciations émanant des acteurs de terrain, des milieux médical, social et juridique, du Comité bioéthique, de l’Ordre des médecins, du médiateur fédéral et de la CEDH, nous espérions un changement radical des pratiques administratives en la matière. Malheureusement, il n’en est rien.

C’est pourquoi la Ligue des Droits Humains dénonce, à nouveau et sans faillir, la pratique administrative abusive qui a lieu en Belgique à l’égard des demandeurs de séjour pour raisons médicales.

Il est grand temps que l’article 9 ter soit modifié. Il pourra ainsi correctement remplir sa mission, soit assurer la protection de personnes parmi les plus vulnérables de notre société. La Ligue des Droits Humains a rédigé une proposition de loi en la matière, elle espère qu’elle sera entendue et défendue par les partis politiques qui se disent humanistes et favorables à une politique migratoire respectueuse des droits fondamentaux.

Une opinion de Cécile Ghymers, Isabelle de Viron et Claire-Marie Lievens, respectivement avocates et juriste pour la commission « Etrangers » de la Ligue des droits humains.

Version originale

21 mai 2019