Dossier Trabelsi : l’Etat de droit n’est pas à géométrie variable

Nizar Trabelsi a été définitivement condamné en Belgique par la Cour d’appel de Bruxelles, le 9 juin 2004, à dix ans d’emprisonnement pour avoir tenté de commettre un attentat suicide, à l’aide d’explosifs, sur la base militaire de Kleine Brogel. Il a purgé l’entièreté de sa peine d’emprisonnement. Il est resté maintenu en détention pendant deux ans supplémentaires, sous écrou extraditionnel, en raison d’une demande d’extradition formulée par les autorités américaines.

Le problème : cette demande était formulée pour le poursuivre pour les faits pour lesquels il avait déjà fait l’objet d’une condamnation définitive en Belgique. Or, on ne peut pas être puni deux fois pour les mêmes faits (principe du non bis in idem), ce qu’interdit précisément l’article 5 de la Convention bilatérale d’extradition liant la Belgique et les Etats Unis d’Amérique.

Dès 2008, les juges belges avaient donc interdit qu’il soit extradé pour les infractions s’étant déroulées en Belgique et pour lesquelles il avait été condamné. Cette exclusion a été confirmée en 2009 par la chambre des mises en accusation de la Cour d’appel de Bruxelles. Cette interdiction avait également été confirmée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Or, malgré cette interdiction, Nizar Trabelsi a été extradé vers les Etats-Unis, le 3 octobre 2013. Triste première pour la Belgique, qui s’est vue durement condamnée par la Cour européenne (arrêt Trabelsi c. Belgique du 4 septembre 2014).

Aujourd’hui, le procès de M. Trabelsi va débuter aux Etats-Unis. Peu de temps avant l’ouverture de ce procès, le procureur américain a toutefois été contraint de préciser l’objet véritable des poursuites. Nizar Trabelsi a alors saisi les juridictions belges en urgence craignant d’être rejugé pour des faits pour lesquels il a déjà purgé sa peine.

Dans un arrêt du 8 août 2019, la Cour d’appel de Bruxelles a été très claire : le mandat d’arrêt US ne pouvait être exécuté que si les faits portaient sur d’autres faits que ceux pour lesquels il a déjà été jugé en Belgique (« Partant, il résulte de ce qui précède que, selon l’analyse qui prévaut en droit belge, l’extradition de l’appelant ne permet pas de le poursuivre aux Etats-Unis pour y être jugé pour les faits (…) liés à la tentative d’attentat à la base militaire de Kleine Brogel »).

L’arrêt de la Cour d’appel de Bruxelles devait servir à clarifier la situation pour les juges américains à qui le gouvernement belge faisait parvenir des informations fort embrouillées.

Toutefois, l’ambassade de Belgique à Washington affirme que la Cour d’appel se trompe, que le Ministre de la Justice peut faire ce qu’il veut en matière d’extradition et sous-entend dès lors que Nizar Trabelsi pourrait être poursuivi et condamné une deuxième fois pour les infractions définitivement jugées en Belgique.

Après son extradition, violant les règles les plus élémentaires de droit international protectrices des droits humains, il s’agit d’un nouvel affront à l’Etat de droit. L’Exécutif viole en effet l’autorité d’une décision de justice exécutoire, rendue à l’issue d’une procédure au cours de laquelle il a pu défendre son point de vue. Ce nouvel épisode vient confirmer les craintes déjà exprimées dans ce dossier : M. Trabelsi fait l’objet d’une entente illicite entre les gouvernements américains et belges, qui semblent s’accorder pour le maintenir sa vie entière durant derrière les barreaux.

7 janvier 2020