Vidéosurveillance : réflexions et questions

THEME : Sécurité – 20 juillet 2012 – La Ligue des droits de l’Homme a reçu, à l’instar des habitants de la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles, un courrier annonçant  l’installation dans l’espace public de 235 caméras de sécurité supplémentaires.

Elle a envoyé au Bourgmestre de Bruxelles et au Chef de Corps de la zone un courrier contenant ses réflexions et ses questions quant à ce projet.

Monsieur le Bourgmestre,
Monsieur le Chef de Corps,

La Ligue des droits de l’Homme (LDH) a reçu, à l’instar des habitants de la zone de police Bruxelles-Capitale-Ixelles, un courrier annonçant la mise en œuvre d’un « nouveau plan caméra » prévoyant « l’installation dans l’espace public de 235 caméras de sécurité supplémentaires, équipées de la dernière technologie et reliées directement aux commissariats ». Nous supposons qu’il s’agit là de la concrétisation du « Plan caméra 2010-2012 ». 

L’implantation de ce nombre très important de caméras ne va pas sans poser de questions à la LDH tant en termes d’opportunité que de respect des droits humains.
En effet, s’il est indéniable que l’usage de caméras de vidéosurveillance peut se révéler utile dans certains lieux et qu’elle peut être, pour certains délits, un outil intéressant parmi d’autres, l’annonce de ce déploiement spectaculaire donne l’impression que cette surveillance généralisée va régler tous les problèmes.

Or, de très nombreuses études tendent à démontrer le bilan extrêmement modeste des caméras de vidéosurveillance par rapport aux attentes qui semblent être mises en elles.

Rappelons à cet égard le rapport britannique de 2005  qui démontrait en détails cet impact quasi nul de la vidéosurveillance (un responsable de la police londonienne avait qualifié cette installation massive de « fiasco » sur la base des… 3 % de vols effectués sur la voie publique à Londres résolus grâce aux caméras de surveillance en circuit fermé.

Plus près de chez nous, en 2002, le commissaire de la zone de police Ouest à Bruxelles affirmait que la présence d’une cinquantaine de caméras de surveillance sur le territoire de la commune de Molenbeek n’avait permis de résoudre qu’une dizaine de faits.

Il y a quelques mois, l’étude « Urban Eyes », publiée par les Facultés universitaires Notre-Dame de la Paix de Namur, proposait un état des lieux de l’utilisation et de l’efficacité des systèmes de vidéosurveillance. Ses conclusions, issues de l’analyse des réponses de 84 communes (sur 589) ayant répondu à leur questionnaire, étaient  limpides : l’installation de caméras de vidéosurveillances ne peut se révéler utile que si celle-ci poursuit des objectifs « très ciblés et régulièrement évalués ». L’étude insiste également sur l’importance de la formation du personnel chargé de la surveillance des écrans de contrôle.

Sur la base de ce qui précède et au vu des objectifs pour le moins diversifiés que semblent avoir été attribué à ces caméras (objectifs de contrôle de la  mobilité, de maintien de l’ordre public, de lutte contre la criminalité, de protection et surveillances spéciales), la LDH s’interroge, sur la prise en compte par vos services des résultats des expériences et études précitées.

Elle s’interroge également sur divers autres points :
– du personnel et une formation spécifique seront-ils, comme le recommande l’étude Urban Eyes, proposés pour mener à bien cette tâche ?
– une évaluation de l’efficacité de l’installation de ces caméras est-elle envisagée à court, moyen ou long terme ?
– l’installation de ces caméras est-elle couplée à d’autres mesures ayant un impact positif sur le sentiment d’insécurité (luminaires urbains plus puissants, amélioration du cadre de vie, actions de prévention…) ?

Des réponses positives à ces questions permettraient à la LDH d’envisager de manière plus sereine l’opportunité de ce déploiement massif et du budget important qui y a été alloué.

Plus largement, la LDH s’interroge sur les conséquences de cette multiplication du nombre de caméras sur les libertés fondamentales des citoyens et, plus particulièrement, sur le respect de leur vie privée. Car si des mesures ont été prises pour flouter les parties privatives de l’espace public, il est utile de rappeler que la vie privée ne s’arrête pas au seuil de la porte du domicile mais accompagne le citoyen sur la voie publique. La LDH s’inquiète à cet égard du fait que l’usage de ces caméras dans le cadre de manifestations semble désormais être une évidence plutôt qu’une exception.

La LDH reconnaît le droit à la sécurité comme un droit tout aussi fondamental que la liberté de circulation, la vie privée ou la liberté d’expression. Mais la tendance forte de faire du droit à la sécurité un droit plus fondamental que les autres droits et libertés ne manque pas d’interroger et d’inquiéter notre organisation.

Espérant que vous serez sensible au travail de vigilance constructif – et légitime au regard des deux rapports précités – de la LDH visant à garantir le juste équilibre entre sécurité et libertés, nous souhaitons vivement que vous puissiez nous éclairer sur les questions susmentionnées.

Dans l’attente de ces réponses, nous vous prions de croire, Monsieur le Bourgmestre, Monsieur le Chef de Corps, en notre considération distinguée.