Vaccination et passeport sanitaire : les droits fondamentaux sont concernés

Face aux nombreuses questions en termes de droits humains que soulève la gestion de la pandémie de la Covid-19, il importe de rappeler que la vaccination fait partie des obligations positives de l’Etat pour garantir le droit fondamental à la santé. Grâce à la campagne de vaccination mise en place, l’Etat belge se conforme donc progressivement à une de ses obligations positives en termes de droits fondamentaux. La mise en oeuvre de ce droit requiert en effet une obligation d’action de l’Etat, ce qui suppose  d’atteindre un haut taux de couverture vaccinale : il est donc essentiel que les campagnes de vaccination soient efficaces, ce qui requiert de sensibiliser l’ensemble de la population. Le passeport sanitaire, quant à lui, est un outil qu’il ne faut pas catégoriquement rejeter mais qui requiert une extrême prudence. Il doit être analysé tant sous l’angle des réalisations qu’il permet que des restrictions, y compris des discriminations dont il serait porteur et, en toutes circonstances, il ne se justifie que de manière provisoire. L’adoption d’une loi et la tenue d’un débat préalable sont indispensables à sa mise en place.

La vaccination, composante du droit à la santé

« La vaccination constitue une composante essentielle du droit humain à la santé et une responsabilité individuelle, collective et gouvernementale, et doit être reconnue comme telle. On estime qu’elle prévient chaque année 2,5 millions de décès ». Ce sont les termes de l’Organisation mondiale de la Santé repris dans un arrêt du 8 avril 2021 de  la Cour européenne des droits de l’homme[1]. Dans cet arrêt, la Cour insiste sur le fait qu’il existe un consensus général sur le fait que « la vaccination est l’une des interventions médicales qui présentent le plus d’efficacité et le rapport coût-efficacité le plus favorable et que chaque État doit s’employer à atteindre le taux de vaccination le plus élevé possible parmi sa population ». Pour la Cour, il est question de « solidarité sociale », l’objet de la vaccination (et en l’espèce d’une obligation vaccinale) étant « de protéger la santé de tous les membres de la société, en particulier des personnes qui sont particulièrement vulnérables face à certaines maladies et pour lesquelles le reste de la population est invité à prendre un risque minime en se faisant vacciner ».

Un programme de vaccination largement accessible, un taux de couverture vaccinale élevé, une éducation à la santé : des critères épinglés par les organes de défense des droits fondamentaux

Avant la Cour, d’autres organes de défense des droits fondamentaux se sont déjà positionnés par rapport à la vaccination. On pensera tout d’abord au Comité européen des droits sociaux qui précise que « les Etats Parties doivent disposer d’un programme de vaccination largement accessible. Ils doivent maintenir des taux de couverture vaccinale élevés en vue non seulement de réduire l’incidence des maladies mais aussi de neutraliser le réservoir de virus et ainsi atteindre les objectifs fixés par l’OMS d’éradiquer plusieurs maladies infectieuses. Les Etats Parties doivent prouver leur capacité de réaction face aux maladies contagieuses (système de déclaration et de relevé des maladies, traitement particulier des cas de sida, mesures d’urgence pour faire face aux épidémies, etc.) »[2]. Pour le Comité, la vaccination de masse « est reconnue comme le moyen le plus efficace et le plus rentable de lutter contre les maladies infectieuses et épidémiques. Cet objectif est d’autant plus important à atteindre que l’Europe connaît une recrudescence de ce type de maladies infectieuses et épidémiques »[3]. Rappelons qu’en 2001, la situation de la Belgique avait été jugée non conforme à la Charte sociale européenne en raison de l’insuffisance des taux de couverture vaccinale contre plusieurs maladies pour la période couvrant les années 1996 à 1998[4].

De son côté, en vue de réaliser le droit à la santé repris à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), le Comité des droits économiques et sociaux de l’ONU définit, parmi les objectifs prioritaires des Etats, le fait de « vacciner la communauté contre les principales maladies infectieuses » et de « prendre des mesures pour prévenir, traiter et maîtriser les maladies épidémiques et endémiques ». C’est également ce Comité qui insiste sur l’obligation qu’ont les Etats d’assurer « une éducation et un accès à l’information sur les principaux problèmes de santé de la communauté, y compris des méthodes visant à les prévenir et à les maîtriser »[5].

Un appel à une politique de sensibilisation massive en vue de protéger la population mondialement

Grâce aux vaccins contre la Covid-19, et à la vaccination de masse qui est mise en place, l’Etat belge est en bonne voie pour se conformer à l’une de ses obligations positives relatives au droit à la santé. Concrètement, la LDH préconise en priorité une couverture vaccinale maximale afin de s’assurer que toute la population puisse être vaccinée, y compris les populations les plus fragilisées sur le plan socio-économique (parmi lesquelles les personnes sans-abri, les personnes migrantes, les personnes sans-papiers, les personnes détenues, etc.). Cela requiert une politique de sensibilisation afin de garantir l’effectivité du droit à la santé de chaque personne mais également de la communauté dans son ensemble dans l’objectif d’atteindre le taux de couverture vaccinale. Il est donc essentiel que les campagnes de vaccination soient efficaces, ce qui requiert d’atteindre toutes les franges de la population. Au-delà du fait que la vaccination doit être rendue possible, gratuitement, pour toute personne résidant en Belgique, les pouvoirs publics doivent promouvoir au maximum la vaccination par l’éducation à la santé, des campagnes d’information et de lutte contre les fake news.

Cette politique doit tenir compte de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient qui requiert que la personne donne un consentement « libre et éclairé » avant d’être vaccinée[6]. Pour que ce consentement soit éclairé, une série d’informations doivent être communiquées, comme l’objectif poursuivi par la vaccination, ses effets secondaires ou encore les conséquences possibles, en termes de transmission ou de protection individuelle, en cas de refus de consentement [7].

Enfin, les virus ne connaissant pas les frontières, la vaccination doit être rendue accessible à tous les pays (par exemple, par une levée des brevets sur ces vaccins qui permettrait une production dans les pays du Sud, par une aide à la capacité de production, etc.). Garantir un taux de couverture vaccinale maximal de façon à protéger la santé de la population mondiale doit être notre horizon à court terme. Tout argument de marché doit donc céder face à une pandémie mondiale et nous devons œuvrer en faveur d’une vaccination à cette échelle. Rappelons que l’article 15 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reconnaît à chacun·e le droit de bénéficier du progrès scientifique et de ses applications.

Fortement encadré et utilisé de façon proportionnée, le passeport sanitaire est un instrument qui peut rendre certaines libertés effectives

Face aux interdictions de voyager ou d’accès à certains espaces actuellement fermés, la création d’un outil qui permet techniquement de retrouver la liberté d’aller et de venir sans mettre en danger la santé d’une population est légitimement discutée. Le débat porte aujourd’hui sur différents outils (preuve d’une première infection, vaccination, tests, double tests) au sujet desquels la LDH n’a pas de compétence pour se prononcer[8]. Sur le plan des libertés fondamentales, la LDH insiste sur l’importance d’analyser l’effectivité des droits fondamentaux qu’un tel outil permet ainsi que les restrictions aux libertés qu’il engendre en ayant une attention particulière sur les discriminations qui pourraient voir le jour.

La liberté d’aller et de venir est une composante de la liberté individuelle prévue à l’article 12 de la Constitution, à l’article 2 du Protocole additionnel n° 4 à la Convention européenne des droits de l’homme, à l’article 45 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et à l’article 12 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Le passeport ne s’inscrit pas dans un champ vaccinal « libre »

En Belgique, une obligation pour toute la population de se faire vacciner existe déjà et concerne la vaccination contre la poliomyélite. Il y a également trois autres vaccins qui sont obligatoires pour certain·e·s travailleur·euse·s en Belgique : il s’agit du vaccin contre l’hépatite B, contre la tuberculose et du vaccin antitétanique. Il existe également des programmes de vaccination qui ne sont pas techniquement des obligations mais qui conditionnent l’accès à des structures. Ainsi, l’accès aux crèches francophones requiert que l’enfant suive un programme de vaccination qui a été jugé par la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat comme une « condition pour bénéficier du service de la crèche ». Ce dernier a précisé « que la circonstance qu’il soit pour les parents très difficile de se passer de ce service n’a pas, en droit, pour effet de transformer cette condition en obligation »[9].

Sur le plan juridique, une condition de vaccination pour bénéficier de services pourrait donc être introduite par les différentes autorités publiques. Cependant, afin de prendre en compte les libertés de toutes et tous, elle requiert de veiller tant à la liberté de mouvement des personnes ayant accès à ce passeport qu’à celle des personnes qui ne pourraient y avoir accès.

Le passeport doit être impérativement provisoire, prévu par une loi et tenir compte de l’ensemble des droits fondamentaux

Tous les droits fondamentaux concernés doivent être également analysés par rapport à ces personnes (droit à la vie, droit à la santé, droit au respect de la vie privée)[10]. Il importe de procéder tant à un examen des restrictions que des réalisations des droits fondamentaux concernés (et notamment un examen de proportionnalité). Les limitations aux libertés doivent toujours être justifiées et provisoires. Ce caractère provisoire est une condition sine qua non pour l’adoption de telles restrictions aux droits et libertés fondamentales.

Par rapport au droit au respect de la vie privée, et en particulier à la protection des données à caractère personnel, la mise en place d’un passeport ou certificat crée une ingérence dans le droit au respect de la vie privée. Ingérence ne veut cependant pas automatiquement dire violation. Il est par contre certain que sa mise en place requiert une extrême prudence et qu’il ne peut être instauré de tout temps. En effet, il est question de données concernant la santé donc de données particulièrement sensibles requérant des précautions particulières qui sont prévues par la loi du 30 juillet 2018 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel (la loi transposant le RGPD[11]). Sans entrer ici dans les détails de cette loi, la LDH rappelle que l’Autorité de protection des données doit impérativement être consultée si cet outil est introduit en Belgique. Une ingérence au droit au respect de la vie privée peut se justifier pour autant qu’1/ une loi soit adoptée, 2/ qu’un objectif légitime justifie le moyen proposé et 3/ que la mesure soit nécessaire dans une société démocratique, ce qui requiert concrètement qu’elle passe le filtre de l’examen de proportionnalité. Afin de garantir le respect de ce principe de proportionnalité, la loi doit impérativement définir avec précisions quelles sont les données traitées, qui y aura accès, combien de temps elles seront conservées et garantir tant le contrôle des individus sur la pertinence de ces données (droit de correction, d’effacement, etc.) que le contrôle de l’Autorité de protection des données sur l’architecture du système. Enfin, il est impératif de s’assurer que cet outil ne soit pas utilisé comme un nouvel outil de surveillance généralisée des individus, ce qui implique une définition limitative des finalités justifiant les traitements. La gestion actuelle des données personnelles dans le cadre de la pandémie ne cesse d’inquiéter à ce sujet. La LDH rappelle donc la nécessité qu’un débat législatif ait lieu sur cette question. Il est  impératif que ce type de dispositif soit limité dans le temps et que la loi détermine un terme précis.

En outre, là où un passeport pourrait être exigé après qu’il a été procédé à une analyse des réalisations et des restrictions des libertés, la LDH accueille favorablement l’idée — sur le plan des libertés fondamentales exclusivement — que des tests soient instaurés lorsque la population n’a pu accéder à la vaccination ou qu’il existe des contre-indications à la vaccination. Ces tests doivent impérativement être accessibles à toutes et tous, ce qui implique qu’ils soient gratuits ou d’un coût modéré, faute de quoi cela pourrait enregistrer des différences de traitement injustifiées, donc discriminatoires, entre les individus. Les vaccins et les tests n’ayant pas les mêmes effets sur le plan médical, et les connaissances évoluant encore à leur sujet, une grande précaution s’impose. Toutefois, et en toutes hypothèses, l’accès aux biens et services ne peut être conditionné à la seule vaccination. Il est également indispensable que ce type de passeport ne soit pas un substitut à la poursuite de la campagne de vaccination, ni à la mise en place d’équipements de protection.

Enfin, afin d’éviter de renforcer les fractures sociales et numériques et de créer des situations discriminatoires, le format du passeport vaccinal le cas échéant adopté ne peut en aucun cas se limiter à un certificat électronique: les individus doivent avoir le choix de pouvoir recevoir ce certificat sous forme matérialisée (papier).

Pour conclure, s’il pouvait être estimé par la communauté scientifique qu’un tel passeport est bénéfique pour la santé de la population, il doit se limiter à constituer une mesure ciblée et temporaire qui ne peut être source de discriminations et qui ne doit pas nous faire oublier le cap à garder en termes de réalisation du droit fondamental à la santé : garantir un taux de couverture vaccinale maximal de façon à protéger la santé de l’ensemble de la population.

[1] Cour E.D.H., Vavřička et autres c. République tchèque, 8 avril 2021.

[2] Digest de jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, décembre 2018, p. 136.

[3] Conclusions XV-2, Belgique, article 11-3, 31 décembre 2001.

[4] Conclusions XV-2, Belgique, article 11-3, 31 décembre 2001.

[5] Comité des droits économiques et sociaux de l’ONU, Observation générale n°14 : Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, E/C.12/2000/4, 11 août 2000.

[6] Moniteur belge, 26 septembre 2002. L’importance de ce consentement est rappelé dans l’avis du Conseil national de l’Ordre des médecins du 23 janvier 2021, « Aspects déontologiques relatifs au programme de vaccination contre la Covid-19 », disponible sur le site : https://ordomedic.be/fr/avis/maladies/covid-19/aspects-d%C3%A9ontologiques-relatifs-au-programme-de-vaccination-contre-la-covid-19

[7] Art. 8, § 2 de la loi du 22 août 2002 relative aux droits du patient.

[8] Voyez le site de l’OMS :        https://www.who.int/news-room/commentaries/detail/immunity-passports-in-the-context-of-covid-19

[9] Conseil d’Etat, arrêt du 16 mai 2012, n°219.399. Voir également V. De Greef, « Une obligation de vaccination contre la Covid-19 serait-elle une restriction ou une réalisation de nos droits fondamentaux ? », J.T., 20 mars 2021, p. 221.

[10] Pour une prise en compte de la liberté de mouvement des personnes souffrant de maladies transmissibles, voy. Comité des droits économiques et sociaux de l’ONU, Observation générale n°14 : Le droit au meilleur état de santé susceptible d’être atteint, E/C.12/2000/4, 11 août 2000.

[11] Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données), JO L 119 du 4 mai 2016.

1er juin 2021