Punir davantage les actes de délinquance contre les biens dont l’usage est réservé à l’exercice de l’autorité publique, ou comment faire pire que mieux

En juin 2021, la Ligue des droits humains (LDH) a été invitée par la Commission de la Justice de la Chambre des Représentants à émettre un avis sur une proposition de loi modifiant le Code pénal, en vue d’instaurer des circonstances aggravantes lorsque l’incendie, la destruction ou la détérioration porte sur des biens mobiliers ou immobiliers dont l’usage est réservé à l’exercice de l’autorité publique.

Actuellement, le Code pénal belge prévoit déjà des circonstances aggravantes, entrainant des aggravations de peine, en cas d’agression contre une personne dépositaire de l’autorité (ex : agents de police) ; dépositaire de la force publique (ex : gendarmes, militaires, pompiers) ; ou une personne chargée d’une mission de service à caractère public (ex : agents des postes, instituteur·trice·s communaux, ambulanciers). Notre droit pénal ne prévoit cependant pas de circonstances aggravantes pour les incendies, les destructions ou détériorations de biens mobiliers (ex : véhicules) ou immobiliers (ex : bâtiments) dont l’usage est réservé à l’exercice de l’autorité publique. Les auteurs de la présente proposition de loi estiment qu’il faut également prévoir des circonstances aggravantes lorsque de telles infractions sont commises sur des biens dont l’usage est réservé à l’exercice de l’autorité publique.

L’intégralité de l’avis remis par la LDH concernant cette proposition de loi est disponible en ligne. Vous trouverez dans les lignes qui suivent un résumé de celui-ci. 

La LDH espère que son avis contribuera à un travail parlementaire constructif permettant de trouver un équilibre entre la nécessité de la répression de certaines infractions, et la légitimité des outils mobilisés.  Car s’il est clair que la protection des personnes qui effectuent des missions de service public est une nécessité, il semble tout aussi clair que le recours à l’outil pénal présente peu d’avantages, en termes d’efficacité, et un certain nombre de contre-indications. L’accroissement de la sécurité des personnes concernées qui en résulterait pourrait de ce fait être purement hypothétique. Pour appuyer son avis, la LDH a soumis à la Chambre plusieurs observations découlant de la proposition de loi, et par lesquelles elle espère inviter à une réelle réflexion sur la question de la sanction pénale et sa supposée force de dissuasion.   

  1. Nécessité de rendre davantage objective la délinquance visée

A l’appui de leur proposition de loi, les auteurs de cette dernière constatent une « recrudescence de la violence à l’encontre des personnes chargées de missions de service public » (p. 4), et citent une série de chiffres repris d’articles de presse en ligne pour en témoigner.

Sans nier la réalité de l’existence d’une délinquance à l’encontre des personnes chargées d’un service public, il est difficile, au regard des chiffres cités, de pouvoir avoir une vision pointue de ce phénomène, ni d’établir une recrudescence de ce type de délinquance sans analyse plus approfondie. La proposition ne se fonde a priori sur aucune base scientifique quant à la réalité de l’augmentation des agressions contre certaines catégories professionnelles. Il n’existe dès lors pas de justification objective, à ce stade, à une aggravation de la sanction pénale.

Notons par ailleurs que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe invite les États membres à constituer des bases statistiques afin d’évaluer scientifiquement le résultat de leur politique criminelle[1]. Avant toute modification législative en la matière, il conviendrait donc d’avoir une image précise et scientifiquement rigoureuse de ce phénomène.

  1. L’effet supposément dissuasif de la sanction : un point de départ inexact

La présente proposition de loi vise à « empêcher autant que possible cette violence ». Selon les auteurs, « si l’on inscrit dans le Code pénal le principe selon lequel la peine sera sensiblement alourdie si les infractions perpétrées visent des biens (…) dont l’usage est réservé à l’exercice de l’autorité publique, la dissuasion sera plus importante et la répression plus efficace » (p. 6). Or, ces considérations sont en réalité erronées et peuvent largement être remises en question. L’aggravation des peines n’a seule que très peu, voire aucune incidence sur le caractère dissuasif de la sanction.

Le postulat initial sur la fonction « symbolique » ou dissuasive de la peine est inexact. D’une part, cette théorie suppose que les agissements des délinquant·e·s sont rationnels : ces derniers prendraient en compte la gravité de la peine avant de décider de passer à l’action ou non. Une théorie bien loin de la réalité, compte tenu du fait que les individus commettent des infractions pour des raisons qui vont au-delà de la peine.

D’autre part, pour que la fonction « symbolique » produise un effet dissuasif, il faudrait que les délinquant·e·s potentiel·le·s aient connaissance des modifications législatives. Or, si « nul n’est censé ignorer la loi », aujourd’hui même un·e juriste ne peut avoir une connaissance exhaustive de celle-ci. La sévérité de la peine apparait alors inefficace en termes de dissuasion. L’un des exemples les plus parlants en la matière est celui de l’abolition de la peine de mort, qui atteste combien la disparition de la sanction ne provoque pas d’augmentation significative de la criminalité, ni ne la fait chuter en cas de maintien (exemple aux États-Unis où la peine capitale est encore appliquée dans certains États fédérés). Il faut alors remettre profondément en cause la fonction « dissuasive » de la peine.

Comme le soulignait l’ancien Ministre de la Justice S. De Clerck, « l’allongement des peines, alors que leur exécution demeure dénuée de tout contenu adéquat, n’offre (…) aucune garantie supplémentaire de réduire les risques de récidive et entraîne de nombreuses conséquences négatives pour le condamné et sa famille »[2]. En conséquence, il convient de constater que l’accroissement de la sévérité de la peine n’a pas pour effet de dissuader le ou la délinquante potentielle de commettre son méfait.

  1. L’efficacité contestable de la répression pour lutter contre la récidive

Il ressort de plusieurs études que le durcissement de la peine n’a pas d’effet positif sur la récidive, voire même que l’accroissement de la durée d’incarcération pouvait produire, en réalité, une légère augmentation de la récidive[3]. On constate ainsi qu’à « peines prononcées égales, plus le temps de détention effectif était long, plus la récidive était fréquente »[4].

L’ensemble de ces constats nous permet de conclure que l’alourdissement des peines n’a pas d’effet positif sur la récidive. Cette analyse est d’ailleurs partagée par le Ministre de la Justice, qui a récemment affirmé que « c’est une idée fausse de dire que plus les peines augmentent, plus la récidive diminue, explique-t-il. C’est souvent l’inverse, on le voit avec l’autre extrême, les USA ! »[5].

  1. Les effets contre-productifs de l’allongement des peines

Pour traiter le problème d’une hypothétique « recrudescence de la violence », les scientifiques ne favorisent pas l’alourdissement des peines de prison mais, au contraire, préconisent des traitements alternatifs à l’incarcération afin d’éviter le contact avec la prison, qui entraîne la rupture des liens familiaux ou encore d’un contrat de travail. L’enfermement rend en effet difficile le retour à la liberté en termes de réinsertion, et favorise la récidive compte tenu du caractère criminogène de la prison.

Notons par ailleurs que la sévérité croissante du système pénal contribue en grande partie à l’augmentation de la surpopulation carcérale, problème que notre gouvernement semble avoir énormément de mal à gérer[6]. Or, il est unanimement admis que la surpopulation carcérale engendre une impossibilité à maintenir des conditions de détention humaines et à gérer de manière individualisée les personnes détenues, venant ainsi renforcer l’effet criminogène de l’incarcération. Comme le soulignait le Ministre de la Justice K. Geens, la prison est la peine « la plus socialement perturbante », socialement « très coûteuse et peu efficace », et qu’il est nécessaire de « tenir compte de la surpopulation carcérale »[7].

La disposition législative proposée ne s’inscrit dès lors a priori pas dans le cadre d’une politique criminelle rationnelle et cohérente.

  1. Conclusions

Pour s’assurer qu’une loi respecte les droits garantis par la Convention Européenne des droits de l’Homme (CEDH), la Cour européenne des droits de l’homme vérifie prioritairement si la loi a été précédée d’un débat parlementaire de qualité, condition incontournable de la compatibilité de la loi avec la CEDH[8]. Un processus parlementaire de qualité s’impose à plus forte raison ici, dans la mesure où la réforme ne semble pas revêtir d’un caractère urgent. En outre, la sensibilité du sujet traité dans le présent débat parlementaire ne pourrait faire l’économie d’analyses qualitatives chiffrées pouvant infirmer ou confirmer l’efficacité de ce type de sanction pénale, au-delà de leur caractère symbolique.

Rappelons par ailleurs que le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe alerte les États depuis plusieurs années sur les effets néfastes de l’enfermement, et les appelle à mettre en œuvre des politiques alternatives à l’incarcération[9].

Enfin, Y. Cartuyvels dénonçait récemment le peu de prise en considération des analyses des « spécialistes du champ pénal dans les discussions sur la pénalité ». « Là où le poids des experts est manifeste dans la lutte contre le Coronavirus, il apparaît, qu’en matière pénale et pénitentiaire, le savoir expert, s’il est mobilisé, est aussi largement ignoré. »[10] Nous pensons qu’il serait opportun que le législateur prête une attention particulière aux travaux scientifiques réalisés dans le champ pénal pour fonder son action sur des bases rationnelles et non évaluées approximativement ou théoriques.

Au vu des développements de la présente proposition, il est fort à craindre qu’elle ne respecte pas ces prescrits. De ce fait, la LDH se montre défavorable à son adoption.

[1] Rec (2000) 22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres.

[2] Chambre des Représentants de Belgique, Doc. 1070 / 8 – 96 / 97, De Clerck, S. (1996)

[3] P. GENDREAU, C. GOGGIN et F. CULLEN, L’incidence de l’emprisonnement sur la récidive, Ottawa, 1999, p. 2. ; P. SMITH, C. GOGGIN et P. GENDREAU, Effets de l’incarcération et des sanctions intermédiaires sur la récidive : effets généraux et différences individuelles, étude rédigée pour le compte du Ministère du Solliciteur général du Canada, Ottawa, 2002, p. ii. ; A. KENSEY et P. TOURNIER, Libération, sans retour ?, France, 1994.

[4] A. KENSEY et P. TOURNIER, Libération, sans retour ?, Ministère de la Justice, France, 1994.

[5] L. WAUTERS, Justice: le nouveau code pénal sera débattu avant l’été, Le Soir, 7 mai 2021.

[6] Comme l’illustrent les nombreuses condamnations de l’Etat belge par des instances internationales et nationales, et celles du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, 7 mai 2021.

[7] K. GEENS, Ministre de la Justice, 18 mars 2015, Doc. Parl., Ch., sess. ord. 2014-2015, nº 54-1019/001, p. 43.

[8] Cour eur. D.H. (gde ch.), arrêt Strand Lobben c. Norvège, 10 septembre 2019.

[9] Rec (2000) 22 du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe aux Etats membres.

[10] Y. Cartuyvels, Les prisons sont pleines, la faute aux facultés de droit?, Le Soir, 27 mars 2021.

Juin 2021