Note pour le parlement – audition du 14 juillet 2020 Proposition de loi 417/1 à 3 (Livre 2 du Code pénal)

1. Il est nécessaire de moderniser l’organisation de notre Code pénal. En ce sens, le travail effectué par la Commission composée, notamment, des experts Damien Vandermeersch et Joelle Rozie doit être salué.

Le projet de Livre 2 du Code pénal porte en effet sur une réorganisation nécessaire des infractions pénales telles qu’elles ont été conçues au 19ème siècle, afin de les mettre en adéquation avec les valeurs actuelles de la société moderne. Par exemple, le Code pénal en projet débute par les atteintes à l’intégrité physique des personnes, ce qui est logique au vu de l’importance de la valeur protégée.

Le projet tend donc à rendre les infractions plus lisibles et en correspondance avec la réalité actuelle ce qui était indispensable vu le caractère désuet et le manque de lisibilité du Code pénal actuel.

Nous regrettons, toutefois, que cette modernisation ne s’accompagne pas d’une réflexion générale sur la nécessité de dépénaliser certains comportements. En effet, le projet ne procède aucunement à une dépénalisation – seules quelques infractions mineurs et désuètes ont été supprimées, dans un souci d’adaptation à la réalité, l’immense majorité des infractions pénales étant maintenues.

Or, la Ligue des droits humains réclame depuis de nombreuses années une réflexion sur la nécessité de dépénaliser certains comportements (stupéfiants et séjour illégal notamment). Bien au contraire, nous assistons actuellement et depuis de nombreuses années à une inflation législative et à une criminalisation de plus en plus importante avec la multiplication de création d’infractions pénales, dans tous les domaines (infractions terroristes, circonstances aggravantes des coups et blessures, droit pénal social, droit pénal de l’environnement, etc…). Pourtant, en parallèle, il n’y a que très peu voire pas de dépénalisation. Cela signifie donc que le nombre d’infractions pénales ne cesse d’augmenter. Cela peut mener à une banalisation de l’infraction pénale en tant que telle, alors qu’il doit s’agir de l’interdit ultime, réservé aux comportements les plus graves.

2. Notons que, de surcroît, le simple fait de dépénaliser certains comportements a un effet direct sur la réduction de la population carcérale, particulièrement problématique et endémique dans notre pays. Il serait également souhaitable d’entamer une réflexion sur ce point. Dans le même ordre d’idées, il convient de réfléchir à la réponse la plus adéquate qui doit être donnée à un problème de société et il convient de constater qu’une réponse purement répressive n’est généralement pas de nature à répondre à la problématique rencontrée de manière effective. En effet, la seule répression par une sanction pénale sans prévention et sans accompagnement est à la fois un aveu d’échec et un pis aller, qui ne solutionnera pas la difficulté.

3. La Ligue des droits humains note que le projet de la Commission prévoyait la suppression de l’infraction consistant en l’interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, option qui n’est pas retenue dans le projet actuel. Or, cette incrimination apparaît problématique sur le plan du respect du principe de proportionnalité, au regard tant de la jurisprudence de la Cour constitutionnelle1 que de la Cour européenne des droits de l’homme2. En effet, dans l’arrêt Belcacemi et Oussar c/Belgique du 11 juillet 20173 le principe de proportionnalité est apparu décisif. Au § 56 dudit arrêt, il est souligné que la France, à la différence de la Belgique ne prévoit pas de peine d’emprisonnement pour l’interdiction de la Burka, ce qui justifierait l’incrimination, la Cour indiquant qu’une peine d’emprisonnement n’est possible en Belgique qu’en cas de récidive, ce qui implique qu’elle n’est pas automatique (§§ 57-58). Or, l’actuel article 563bis du Code pénal prévoit une peine d’emprisonnement en cas de première infraction. Il est donc permis de douter de la conformité dudit article avec les droits fondamentaux.

4. Il est impossible d’examiner le Livre 2 du Code pénal sans références au Livre 1 et, notamment, à l’échelle de peine prévue par celui-ci. Contrairement à ce qui était proposé par la Commission de réforme, le Livre 1 prévoit que toute infraction, quelle qu’en soit la gravité pourra être sanctionné d’une peine d’emprisonnement.

Ceci nous paraît contraire à la logique de ce Livre 2 qui s’inscrit dans une volonté nécessaire de prévoir des peines alternatives à l’incarcération et d’envisager effectivement la prison comme étant l’ultime remède.

Dans cette perspective il convient, par ailleurs, d’autoriser le juge à accéder dans tous les cas à tout le panel de peines, afin de lui permettre de modaliser et d’individualiser la peine en fonction de la situation de chaque prévenu. À titre d’exemple, on peut penser au cas d’une euthanasie illégale qui devrait nécessairement, en l’état, être qualifié d’assassinat et faire l’objet d’un renvoi aux assises…

Il n’apparaît pas non plus justifié d’exclure, par principe, les violences sexuelles de toutes possibilités de peine de travail ou de surveillance électronique.

5. À cet égard, il est de notoriété publique et attesté par la littérature criminologique scientifique que la privation de liberté a un effet criminogène. Il ne s’agit donc pas d’une réponse efficace à la délinquance qui ne renforce pas la sécurité. Au contraire, le défaut de réinsertion et le rallongement des peines vont augmenter la récidive et par voie de conséquence la délinquance. C’est un cercle vicieux qu’il faut briser. Il ne s’agit pas ici d’être sévère ou clément à l’égard des délinquants, il s’agit de penser à un système qui permette de lutter effectivement contre la délinquance, pour la sécurité de toutes et tous.

6. De surcroît, il n’est pas inutile de prendre en considération le coût de la détention qui s’élève, selon les derniers chiffres, à plus de 120,00 € par détenu par jour. Ce coût pourrait, bien plus utilement, être placé dans des services sociaux qui permettraient une lutte plus efficace contre la délinquance.

7. Quant à la cohérence et à la clarté, ce Livre 2 est manifestement une avancée : les infractions sont plus lisibles et il est fondamental, notamment au regard du principe de légalité et de prévisibilité de la loi pénale, principe constitutionnel4, que les infractions soient compréhensibles par le citoyen. Ce principe impose en effet au législateur de définir les infractions et les sanctions qu’elles entraînent avec une clarté et une précision suffisantes5.

Il est également fondamental que celles-ci trouvent une place cohérente par rapport aux valeurs protégées par notre société. À ce titre, il apparait notamment indispensable que les infractions de viol qui figurent aujourd’hui dans le titre « Infractions contre l’ordre des familles et la moralité publique » soient effectivement reconnues comme des infractions contre les personnes.

Il est, en outre, regrettable que le chapitre portant sur les discriminations et qui visait à intégrer et à centraliser les infractions relatives à la discrimination, les incitations à la haine et au négationnisme ait été supprimé. En effet, les incriminations existantes figurent dans différentes lois et sont donc difficilement lisibles et compréhensibles. Il convient dès lors de placer ces infractions, dont l’importance ne peut, en aucune manière être niées, dans le Code pénal où elles ont toute leur place.

8. Les modifications apportées depuis le travail fait par les auteurs du projet sur la question de la récidive sont également particulièrement critiquables. Ainsi qu’il a été exposé ci-dessus, l’allongement des peines a un effet délétère sur la délinquance et sur la réinsertion. Or, le principal effet de la récidive est d’allonger les peines, ce qui est donc contre-productif. Les auteurs du projet avaient prévu des cas spécifiques de récidive spéciale. Le retour à une récidive par titre telle qu’elle est conçue aujourd’hui est fortement critiquable et revient à quasiment au système actuel de récidive générale.

1 Voir C. const., 6 décembre 2012, arrêt n° 145/2002, B.29.1
2 Cour eur. D.H., 1er juillet 2014, S.A.S. c. France, § 152 ; Cour eur. D.H., 11 juillet 2017, Belgacemi et Oussar c. Belgique, § 56-58
3 Cour eur. D.H., 11 juillet 2017, Belgacemi et Oussar c. Belgique.
4 Consacré notamment par les articles 12 et 14 de la Constitution mais aussi par l’article 7 de la
Convention européenne des droits de l’Homme et l’article 15 du Pacte international relatif aux droits
civils et politiques
5 M. LYS, « Le principe de la légalité pénale », Rev. bel. dr. const., 2005, p. 379

Olivia Venet, Présidente de la Ligue des droits humains

14 juillet 2020

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