Questions autour du Covid Safe Ticket et de la vaccination obligatoire

La Ligue des droits humains était auditionnée ce 2 février par le Parlement, dans le cadre des débats sur la vaccination obligatoire. Vanessa De Greef, vice-présidente de la LDH et  professeure en droit social à l’ULB, a exposé la position de la Ligue.

Pour revoir son intervention, c’est par ici:

http://www.lachambre.be/media/index.html?language=fr&sid=55U2506

Pour les plus pressé·e·s, voici un petit résumé:

C’est au Parlement fédéral de décider de l’opportunité de l’obligation vaccinale et de bien mesurer le moment adéquat pour ce choix. Mais la LDH peut par contre rappeler le cadre nécessaire à l’obligation vaccinale : quelles sont les conditions nécessaires pour imposer la vaccination ?

Ici, on est face à la nécessité de concilier plusieurs droits fondamentaux, dont le droit à l’intégrité physique (droit au respect de la vie privée et familiale), le droit à la vie et à la santé.

En matière de droits fondamentaux, une ingérence peut être admise si elle respecte trois conditions.

Il faut :

  1. Une loi. Ici, seul le Parlement fédéral est compétent.
  2. Un objectif légitime, ici la protection de la santé (individuelle et collective).
  3. Passer le test de proportionnalité.

Avec ici, deux sous-questions :

  1. La vaccination obligatoire permet-elle d’atteindre l’objectif ?

Il faut notamment préciser davantage cet objectif. Exemple : Éviter les formes graves du virus ? Éviter la saturation du système hospitalier et soigner celles et ceux dont les soins sont continuellement reportés ?

  1. La vaccination obligatoire est-elle l’outil le moins attentatoire aux libertés ?

Il faudrait mettre à plat plusieurs éléments : évaluer les mesures adoptées jusqu’ici, expliquer et justifier pourquoi certaines mesures sont plus attentatoires aux droits et libertés (confinement, etc.) et lesquelles sont combinées (baromètre, etc.).

Et la position de la Ligue, dans tout ça?

Elle ne se positionne pas pour ou contre la vaccination obligatoire: il faut répondre aux questions soulevées par le cadre que l’on a expliqué ci-dessus.

Mais pour la Ligue, si le débat se résume à devoir choisir entre le pass vaccinal ou l’obligation vaccinale, c’est l’obligation qui l’emporte. La responsabilité de l’Etat est plus nette, la manipulation de données à caractère personnel plus limitée et les problèmes de discrimination moins flagrants si l’obligation est générale.

La Ligue reste par ailleurs vigilante quant au Covid Safe Ticket.

Si l’option de l’obligation vaccinale est retenue, la LDH veillera à certains points importants, parmi lesquels : la prise en compte des contre-indications, la proportionnalité des sanctions éventuelles, l’existence d’un vrai débat public, la justification précise et transparente des pouvoirs publics, et le fait que l’avis de l’APD soit demandé en cas de traitement de données.

Enfin, la Ligue est opposée aux sanctions pénales. Si des sanctions pénales sont retenues, elles doivent rester minimes et appliquées avec discernement comme ce qui se fait déjà pour le vaccin obligatoire contre  la polio: dans la pratique, une obligation de discuter de la vaccination avec un service spécialisé sur la question.

 

 

Vous êtes nombreux·ses à nous écrire pour nous poser des questions autour de la crise sanitaire que nous traversons et les mesures décidées plus récemment par le gouvernement. Vous trouverez ici les réponses les plus fréquemment posées.

Sur la vaccination obligatoire :

 

La vaccination obligatoire est-elle légale ?

En Belgique, un vaccin est déjà obligatoire pour tou·te·s depuis un arrêté royal de 1966, celui contre la poliomyélite. Mais contrairement à ce vaccin, celui contre le Covid n’a reçu de l’agence européenne des médicaments qu’une autorisation conditionnelle de mise sur le marché, leurs fabricants se sont engagés à fournir une étude complète d’ici fin 2022, début 2023.

Il pourrait être possible de rendre obligatoire un vaccin n’ayant pas d’autorisation définitive, la crise sanitaire pourrait justifier de rendre la vaccination obligatoire par voie législative pour un motif de santé publique. Pareille décision pourrait être mise en cause par la Cour Constitutionnelle, et puis un jour par la Cour européenne des droits de l’homme, qui pourrait considérer que ce n’était pas proportionné, même s’il y avait un objectif légitime de protéger la santé.

 

Est-ce légal de se faire licencier par son employeur si on refuse de se vacciner ?

Pour les secteurs autres que le secteur des soins, il n’y a pas d’incidence professionnelle sur le fait de ne pas vouloir se faire vacciner. Bien que le licenciement pour refus persistant de se conformer aux mesures de sécurité est envisageable, le licenciement ou une autre sanction sont tout à fait exclus en cas de refus de vaccination.

Pour plus d’informations

 

La vaccination va devenir obligatoire pour les soignant·e·s. Si je refuse de m’y conformer, mon employeur peut-il me licencier ?

Le conseil des ministres est parvenu à un accord sur les sanctions à infliger au personnel soignant qui refuserait l’obligation vaccinale, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er janvier prochain. Entre le 1er janvier et le 31 mars 2022, les soignant·e·s qui refusent le vaccin seront suspendu·e·s – sauf si une fonction adaptée est possible – et ils pourront bénéficier du chômage pour force majeure ou du chômage complet s’iels renoncent à leur contrat.

A partir du premier avril, il y aura deux possibilités. Soit la·le soignant·e n’a pas répondu par écrit à une lettre lui demandant s’iel veut conserver son contrat, et iel aura droit au chômage complet car son contrat est résilié sans préavis. Soit iel aura demandé le maintien de son contrat et celui-ci sera suspendu ; iel ne touchera donc plus son salaire ; mais iel pourra travailler pour un autre employeur (en dehors du secteur des soins), sans perdre son agrément.

Cet accord doit encore être soumis au Conseil d’Etat, qui pourrait toujours juger que ce texte est discriminatoire.

 

Je travaille dans les soins de santé et suis opposée à la vaccination obligatoire. Quels sont mes moyens d’actions ?

Si le vaccin contre le Covid est rendu obligatoire par la voie législative, les personnes concernées pourraient intenter un recours devant la Cour constitutionnelle afin de contester la validité de l’acte législatif rendant la vaccination obligatoire. Ils pourraient également se rendre devant des juridictions civiles afin d’introduire des recours sur la base, par exemple, du droit au respect de la vie privée et/ ou sur base de la loi relative aux droits du patient.

 

 

Sur le Covid Safe Ticket :

Est-ce que le Covid Safe Ticket est légal ?

Les limitations aux libertés fondamentales doivent nécessairement avoir une base légale. Le pass sanitaire (ou Covid Safe Ticket) relevant de cette catégorie, il doit non seulement avoir une base légale, accessible et claire, mais cette dernière doit en outre respecter le principe de prévisibilité, d’autant plus que des sanctions pénales sont prévues.

Le CST repose sur un acte législatif, il a été rendu obligatoire dans un premier temps en vertu d’une législation fédérale pour les événements de masse pour les expériences pilotes. Fin septembre, son champ d’utilisation a été élargi dans un accord de coopération pour imposer le CST dans les restaurants, bars, clubs de sport, etc. Une ordonnance et un décret sont adoptés dans la foulée devant les parlements bruxellois et wallon. Le principe de légalité semble donc avoir été respecté.

Toutefois, les limitations aux libertés fondamentales doivent également poursuivre un objectif légitime et être proportionnées par rapport à l’objectif poursuivi. A ce niveau-là, les instruments législatifs dont on parle ci-dessus peuvent être critiqués. Ils vont d’ailleurs faire l’objet d’un examen dans le cadre d’une procédure judiciaire introduite par un collectif citoyen dont l’objet est la défense du droit au respect de la vie privée.

 

Qui a le droit de contrôler le Covid Safe Ticket ?

L’application CovidScan est utilisée par les restaurateur·rice·s, les tenancier·ère·s de café, les organisateur·rice·s d’événements et dans les salles de concert et tous les établissements concernés par l’obligation du CST. L’exploitant·e de l’établissement ou l’organisateur·rice de l’évènement doit établir la liste des personnes habilitées à faire ce contrôle. Ces personnes sont autorisées à croiser le QR code et vos données d’identité.

Si ce contrôle est à première vue légal, en ce qu’il est autorisé par la loi, il pose de sérieuses questions en termes d’équilibres démocratiques en étendant le contrôle d’identité à des acteur·rice·s privé·e·s, dont ce n’est pas le rôle.

 

La personne qui contrôle le Covid Safe Ticket a-t-elle le droit d’également contrôler mon identité ?

Dans l’accord de coopération qui règlemente le CST, il est indiqué que le titulaire du CST doit prouver son identité avec un document officiel qui indique son nom et dispose d’une photo. S’il refuse de montrer une pièce d’identité, la·le gérant·e du lieu peut lui-même interdire l’accès.

Un·e patron·ne d’un établissement Horeca ou de boîtes de nuit ne peut pas exiger la carte d’identité, mais peut refuser l’entrée le cas échéant. Autrement dit, il est légal de demander la carte d’identité, pas de l’exiger. La conséquence étant que le droit d’accès aux lieux définis est refusé.

Comme déjà souligné, si ce contrôle est à première vue légal, en ce qu’il est autorisé par la loi, il pose de sérieuses questions en termes d’équilibres démocratiques en étendant le contrôle d’identité à des acteur·rice·s privé·e·s dont ce n’est pas le rôle.

 

Quels sont les risques que j’encours si je refuse de contrôler le Covid Safe Ticket de mes clients ?

Si vous refusez de contrôler vos client·e·s et qu’un contrôle est réalisé dans votre établissement, vous encourez des sanctions pénales : entre 50 et 2500 euros d’amende pour vous en tant que patron·ne ou organisateur·rice et entre 50 et 500 euros d’amende pour les client·e·s ou visiteur·euse·s.

En outre, pour les organisateur·rice·s, les bourgmestres peuvent également faire usage de leur pouvoir de police et ordonner la fermeture d’un établissement pour une durée maximale de 3 mois ou signifier l’arrêt immédiat de l’événement.

 

Je suis abonné.e à une salle sport, je ne peux plus y accéder depuis le C.S.T. mais on ne veut pas me rembourser ? Est-ce que c’est légal ?

Il n’y a pas d’obligation légale imposant le remboursement de l’abonnement, l’obligation du CST ne relève en rien d’une décision unilatérale de l’organisateur·rice. Cela dépend donc de la politique de votre salle de sport. Par exemple, les salles de sport d’un grand groupe permettent des remboursements pour les membres non-vacciné·e·s qui souhaitent rompre ou suspendre leur abonnement. D’autres centres ont décidé de reporter les abonnements.

 

Mes données sont-elles collectées quand mon Covid Safe Ticket est scanné ?

L’article 7 de l’ordonnance relative à l’extension du CST du 14 octobre 2021 évoque une certaine conservation des données personnelles traitées en vue de générer et d’utiliser le CST. Cet article précise que les informations relatives aux données sont reprises dans l’accord de coopération du 14 juillet 2021.

Cet accord précise que les durées de conservation des données personnelles traitées aux fins du certificat Covid numérique sont strictement limitées à la finalité de ce certificat. Cet accord précise également que les données personnelles traitées en lisant le CST sont immédiatement supprimées après le traitement. Cette réglementation interdit également aux utilisateur·rice·s de l’application CovidScan de stocker ou de traiter ultérieurement les données personnelles qu’ils reçoivent via le CST, sauf pendant la durée de validité de ce CST.

 

Quelle est la position de la Ligue des droits humains sur le Covid Safe Ticket ?

La Ligue des droits humain a expliqué sa position sur le CST dans ce document.

 

La Ligue des droits humains compte-t-elle introduire une procédure contre le Covid Safe Ticket ?

A ce stade, ce n’est pas à l’ordre du jour. En effet, des procédures judiciaires introduites par un collectif citoyen dont l’objet est la défense du droit au respect de la vie privée sont déjà pendantes devant les tribunaux bruxellois et wallons.

 

Quels sont les moyens d’action pour s’opposer au Covid Safe Ticket ?

Toute personne lésée peut saisir les cours et tribunaux pour obtenir réparation de son préjudice. La consultation d’un·e avocat·e est vivement conseillée.

Un recours en annulation contre les actes législatifs concernés pourrait également être introduit par la Ligue des droits humains devant la Cour constitutionnelle, dans un délai de 6 mois à partir de la publication de ces actes au Moniteur belge.

 

Quelles sont les démarches pour introduire une plainte contre l’Etat belge pour avoir instauré le Covid Safe Ticket ? Comment se constituer parties civiles ? Combien ça coûte ?

Toute personne lésée peut saisir les cours et tribunaux pour obtenir réparation de son préjudice. La consultation d’un·e avocat·e est vivement conseillée.

Une plainte a déjà été déposée par une ASBL citoyenne contre le CST devant le tribunal de première instance de Bruxelles. Les principaux arguments sont que cette mesure est disproportionnée et discriminatoire. L’affaire sera plaidée au mois de décembre.

Pour information, le tribunal civil est saisi par voie de citation d’huissier, dont le coût est d’environ 150 €. Si vous consultez un·e avocat·e, il faut ajouter les honoraires de celui·celle-ci.

 

Qu’a fait la Ligue des droits humains depuis le début de la crise sanitaire pour défendre les droits fondamentaux ?

La Ligue des droits humains a introduit plusieurs recours au Conseil d’Etat contre les arrêtés ministériels pénalisant les personnes qui ne respecteraient pas les mesures sanitaires en raison de leur inconstitutionnalité. Elle a aussi introduit un recours en référé devant les juridictions judiciaires et intervient dans une procédure devant la Cour constitutionnelle pour les mêmes raisons. Par ailleurs, elle étudie actuellement l’opportunité d’introduire un recours contre la loi pandémie devant la Cour constitutionnelle.

Concernant les atteintes au respect de la vie privée, plusieurs recours sont pendants devant le Conseil d’Etat ( le dernier en date ) et la LDH a interpellé la Chambre quant aux conflits d’intérêt existant au sein de l’APD, ce qui a entraîné une procédure d’infraction au RGPD contre la Belgique intentée par la Commission européenne.

La Ligue des droits humains a également été active sur d’autres front visant des publics vulnérabilisés par la pandémie (sans-abri, secteur médical, sans-papiers, personnes âgées, etc.), parfois également via des actions en justice (pour les détenus, mais sans succès malheureusement).