Extension du pass sanitaire: des balises strictes sont nécessaires

Le pass sanitaire (ou covid safe ticket) est annoncé à partir d’octobre en Région bruxelloise et en Région wallonne. Déjà en place pour des événements de masse depuis l’été, il est élargi aux personnes de plus de 16 ans et aux lieux relevant de la vie quotidienne. Bien que cette mesure soit prise pour préserver le droit à la santé de la population, la Ligue des droits humains s’interroge sur sa proportionnalité et s’inquiète de son impact sur les droits fondamentaux. La LDH rappelle les balises strictement nécessaires à l’imposition de cet outil qui restreint considérablement les libertés individuelles.

Si le pass sanitaire permet de maintenir certaines libertés qu’un nouveau confinement conduirait à limiter drastiquement, un dispositif de cette nature comporte des risques majeurs pour les droits fondamentaux et doit donc faire l’objet d’une évaluation quant à l’impact qu’il aura sur ces derniers, préalablement à toute mise en œuvre.

1. Les principes de légalité et de proportionnalité

La Ligue des droits humains souligne dans un premier temps que ce pass sanitaire doit être prévu par un acte législatif et faire préalablement l’objet d’un débat approfondi au sein des parlements concernés. Le principe de légalité doit impérativement être respecté, ce qui suppose une base légale, accessible et claire, mais aussi le respect du principe de prévisibilité, d’autant plus si des sanctions pénales sont prévues.

La LDH s’interroge également sur la proportionnalité de cette mesure. Les autorités publiques ont-elles une idée précise de l’impact que le covid safe ticket pourrait avoir sur la situation sanitaire et, cela, au regard des restrictions des libertés individuelles qu’il engendrera ? Il est en effet indispensable qu’une analyse d’impact sur les droits fondamentaux soit préalablement réalisée avant toute mise en œuvre de ce dispositif.

Par ailleurs, ces limitations doivent être strictement limitées dans le temps. L’accord de coopération prévoit de ne pas dépasser une période de trois mois consécutifs. Ce délai semble a priori extrêmement long, en ce qu’aucun élément ne le justifie à l’heure actuelle. Force est de constater que de nombreux dispositifs de crise ont tendance à se pérenniser, ce qui constitue un détournement de leur finalité première.

Dans son avis sur l’avant-projet d’accord de coopération, l’Autorité de protection des données pointe du doigt le flou autour de la finalité précise du dispositif et le fait que l’avant-projet ne justifie pas la pertinence et la nécessité du pass sanitaire. Or, pour justifier l’ingérence causée par le pass sanitaire dans les droits fondamentaux des individus, il faut que la mesure soit pertinente et proportionnée.

Enfin, l’accord de coopération prévoit une application à géométrie variable lorsque la situation épidémiologique le justifie. Ce qui signifie d’une part une importante délégation de pouvoir aux bourgmestres et aux gouverneurs et d’autre part que le recours facultatif au CST est laissé à l’appréciation des organisateur·trice·s et exploitant·e·s de certains lieux ou événements. Comme le relève l’APD, cela pose d’épineuses questions de constitutionnalité. De telles délégations devraient en effet être évitées et balisées préalablement par un acte législatif clair et accessible à toutes et tous.

La Ligue des droits humains invite donc les autorités publiques à se conformer à l’avis de l’Autorité de protection des données et à réaliser une analyse d’impact sur les droits fondamentaux, au regard du respect du principe de proportionnalité.

2. Protection des données et privatisation du contrôle

La LDH a regretté, à plusieurs reprises depuis le début de la pandémie de COVID 19, le manque total de transparence sur le processus de traitement des données à caractère personnel (de nombreuses bases de données à caractère personnel étant utilisées dans le cadre de la lutte contre le virus). Si, a priori, le système de pass sanitaire envisagé n’implique aucune collecte de données directe ou indirecte concernant les personnes dont le statut est vérifié, l’APD exige que ce soit écrit de manière explicite dans l’accord de coopération.

Par ailleurs, un élément fondamental du débat trop souvent occulté est la privatisation du contrôle de ce dispositif. Cela pose la question d’une nouvelle distribution de l’exercice de la force publique, surtout que l’accord de coopération prévoit de contrôler non seulement les données de santé, mais également l’identité des individus. Confier ce rôle à des acteur·trices privé·e·s (restaurateur·rice·s, gérant·e·s de salles de sport, de salles de théâtre, etc.) constitue un choix de société lourd de sens, que ces acteur·rice·s ne sont d’ailleurs pas nécessairement désireux·ses et/ou en capacité de faire.

3. Un risque multiple de discriminations

Le pass sanitaire va automatiquement entraîner des différences de traitement dans une société que la pandémie de coronavirus a déjà fortement divisée. La Ligue des droits humains appelle les autorités à veiller à ne pas creuser plus encore ces inégalités et ces tensions entre personnes vaccinées et non-vaccinées.

D’une part, parce que certaines personnes peuvent avoir des raisons objectives justifiant une non vaccination (raisons médicales). Cet élément doit impérativement être pris en compte. Et, d’autre part, parce qu’il y a une large corrélation entre le niveau socio-économique de certains quartiers et le taux de vaccination. Sans oublier les personnes ne disposant pas de papiers en règle, qui se verront exclues de pans de plus en plus larges de la vie en société.

Pour éviter ce mécanisme de discriminations multiples, les pouvoirs publics doivent impérativement veiller à ce que des tests PCR gratuits et tests antigéniques restent accessibles à tous et toutes, pour garantir l’accès aux personnes non-vaccinées aux lieux où le pass sanitaire sera imposé.

En outre, en visant directement les mineurs, les mesures envisagées doivent garantir d’éviter d’exclure de la société un nombre important de jeunes, qui pour des raisons diverses n’ont pas encore eu l’opportunité ou le souhait de se faire vacciner. L’intérêt supérieur de l’enfant devant prévaloir dans ce domaine, tout dispositif instauré ayant un impact sur celui-ci devra faire l’objet d’une attention particulière.

A ce sujet, la Ligue des droits humains rappelle que les droits culturels des personnes sont également des droits fondamentaux. Les lieux culturels ne peuvent donc d’emblée être considérés comme des lieux non-essentiels.

4. Le droit fondamental à la santé

Protéger le droit fondamental à la santé figure parmi les obligations de l’Etat. Et dans ce cadre, la priorité reste de poursuivre la campagne de vaccination afin de protéger la santé de tou·te·s, particulièrement des personnes les plus vulnérables. Dans un deuxième temps, le pass sanitaire peut être un outil utile pour maintenir certaines libertés individuelles mais les autorités publiques ont l’obligation de faire la balance entre ses avantages et ses limites en termes de droits fondamentaux.

En conclusion, cette crise sanitaire vient rappeler que l’exercice de nos droits et de nos libertés est aussi collectif et que c’est ensemble, par des actions solidaires qui nous impactent les uns les autres, que nous pourrons retrouver nos libertés et nos droits fondamentaux, qu’il s’agisse du droit à la santé, de l’accès à la culture, de l’égalité de traitement ou de la liberté de circulation. Si le pass sanitaire peut permettre de lever certaines des restrictions que nous subissons actuellement, il présente toutefois un risque d’effets secondaires indésirables incontestables. Il s’agira de garantir que nous retrouvions aussitôt que possible des libertés aussi larges que possible et nous veillerons à rappeler que la liberté doit rester la règle et l’interdiction, l’exception. La Ligue des droits humains y sera attentive et ne manquera pas de saisir la justice s’il devait s’avérer que les autorités ne prennent pas en compte ces balises essentielles pour la sauvegarde des droits fondamentaux.

Le 29 septembre 2021