Bruxelles, le 8 janvier 2025
Quatre ans après la manifestation « contre la justice de classe et raciste » du 24 janvier 2021 au Mont des Arts, l’affaire sera plaidée devant le tribunal de première instance de Bruxelles (ces 9 et 10 janvier 2025). Avec la Ligue des droits humains, 11 jeunes ont assigné en justice l’État belge, la zone de police Bruxelles-Capitale Ixelles et le bourgmestre de la ville de Bruxelles pour les abus policiers dont iels ont été victimes en marge de la manifestation.
Fixées initialement en février 2024, les plaidoiries dans l’affaire liée à la répression de la manifestation du 24 janvier 2021 ont été reportées à ces jeudi 9 et vendredi 10 janvier 2025 devant le tribunal de première instance de Bruxelles. On entrera dès lors dans le vif du débat de cette affaire, lorsque les polices locale et fédérale ont interpellé plus de 200 personnes en marge d’une manifestation « contre la justice de classe et raciste », tolérée par le bourgmestre de la ville de Bruxelles.
Arrestations arbitraires, abus policiers
Lors de leur interpellation, les 11 personnes requérantes ont subi des mauvais traitements, ont été entassées sans aucun respect des mesures covid dans des véhicules de police et emmenées aux casernes d’Etterbeek. L’un des plaignants, mineur, a subi des coups de la part de la police. Les autres plaignant·es ont par ailleurs été témoins de violences physiques de la part de la police sur des personnes qui se trouvaient avec elles. Iels évoquent également des propos racistes et sexistes de la part des policier·ères.
La gestion policière de cette manifestation avait fait l’objet de nombreuses critiques. De son côté, la Ligue des droits humains avait analysé les multiples abus, violences et dysfonctionnements dans un rapport spécifique sur cette manifestation. Des violences qui avaient également été dénoncées par un syndicat policier, la CGSP Police, fait suffisamment rare pour être souligné.
Les requérant·es ont donc décidé d’assigner l’État belge, la zone de police et le bourgmestre de la ville de Bruxelles parce qu’iels refusent que ces violences restent impunies. La Ligue des droits humains s’est jointe à l’action pour critiquer notamment le recours au profilage ethnique et à la technique de la nasse.
Des arrestations sur base d’un profilage ethnique
Si les cas individuels de profilage ethnique sont toujours difficiles à démontrer, l’examen du dossier a ici permis d’apporter des éléments interpellants. Les retranscriptions radio indiquent notamment que les policier·ères ont eu pour consigne d’arrêter préventivement les personnes au « profil casseur » et de laisser rentrer chez eux « les gens bien-pensants ». Une telle consigne, sans autre indication sur les critères sur lesquels les agents devraient se fonder pour distinguer les personnes à arrêter, est de nature à favoriser ou permettre des arrestations illégales fondées sur des motifs discriminatoires.
La Ligue des droits humains alerte depuis de nombreuses années sur ce problème structurel au sein de la police et plaide pour une interdiction légale explicite du profilage ethnique. Elle demande par ailleurs la mise en place d’un récépissé – la remise d’un document expliquant les motifs du contrôle à chaque personne interpellée – pour objectiver les contrôles, lutter contre le profilage ethnique et, in fine, pousser la police à plus de transparence dans ses interactions avec les citoyen·nes.
Interdire la technique des nasses
Par ailleurs, la police a également utilisé la technique de la nasse ou d’encerclement pour interpeller les personnes présentes près de la gare centrale. Cette technique consiste « à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d’une manifestation ou à proximité immédiate de celle-ci, au moyen d’un encerclement par les forces de l’ordre qui vise à les empêcher de se rendre ou de sortir du périmètre ainsi défini ». Selon la CEDH, les limitations imposées à la liberté de circuler devraient être imposées « conformément à la loi ». En février 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs condamné la France pour le recours sans base légale à cette pratique policière, lors d’une manifestation en 2010 à Lyon. En Belgique, il n’existe donc aucun cadre légal. La Ligue des droits humains estime qu’on ne peut entraver de la sorte la liberté de manifester et que cette pratique doit être interdite.
Enfin, la Ligue des droits humains continue de demander un contrôle, par des organismes nationaux et internationaux indépendants, des lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels. Les casernes d’Etterbeek, où se sont déroulées des violences, sont dépourvues de caméras de surveillance et ne font pas l’objet de ces contrôles pourtant prévus par l’OPCAT, le Protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la Torture. Une loi a été votée en avril 2024 pour mettre en place ce mécanisme, mais le Parlement n’en a pas octroyé les moyens nécessaires, faisant craindre son ineffectivité et donc la reproduction possible des faits dénoncés.
Cette action en justice au civil a pour objectif de mettre en cause les institutions responsables du cadre légal et réglementaire ayant permis ces abus policiers. En parallèle, une action au pénal concernant d’autres plaignant·es est toujours à l’instruction.
L’audience a lieu les 9 et 10 janvier 2025, à 8h45, au tribunal de première instance francophone, quatrième chambre, salle 15 Montesquieu (rue des Quatre Bras, 13, Bruxelles).