Les amendes infligées pendant le confinement, conformes ou non à la Constitution ? La Cour constitutionnelle est saisie de la question

Bruxelles, le 7 juin 2022

Interdiction de se déplacer, de se rassembler, obligation de rester chez soi : ces mesures de confinement, imposées à partir de mars 2020 et les sanctions pénales qui les accompagnaient, étaient-elles conformes ou non à la Constitution, qui exige le respect du principe de légalité pour les atteintes aux droits et libertés ? Les décisions judiciaires sur la question sont contradictoires. C’est désormais au tour de la Cour constitutionnelle de trancher la question. Elle a été saisie par une juge de Police de Charleroi, rejointe par Infor Jeunes et la Ligue des droits humains. L’audience devant la Cour a lieu ce mercredi 8 juin.

La Cour constitutionnelle se penchera ce mercredi 8 juin à 14 heures sur cette question de la conformité des premières mesures de lutte contre la propagation du Covid-19 avec la Constitution. La Cour a été saisie par une juge de Police de Charleroi confrontée à deux dossiers de personnes poursuivies parce qu’elles n’ont pas respecté les mesures de confinement : l’une se trouvait dans une voiture avec son compagnon, l’autre jouait au foot avec ses enfants dans la rue. La juge interroge donc la Cour constitutionnelle sur la validité de la base légale de ces poursuites.

Ces mesures de confinement – obligation de rester chez soi, interdiction de déplacements non essentiels, interdiction de rassemblements – ont été prises dès mars 2020, par un arrêté ministériel « portant des mesures d’urgence pour limiter la propagation du coronavirus ». Depuis lors et jusqu’à la mise en œuvre de la loi pandémie, en octobre 2021, toutes les mesures de gestion de la crise sanitaire restreignant les libertés ont été prises par de simples décisions du ministre de l’Intérieur. Si les citoyen·ne·s ne respectaient pas ces mesures, ils ou elles risquaient des poursuites pénales. Au total, de mars 2020 à juin 2021, plus de 240.000 dossiers de prévenu·e·s impliqué·e·s dans des infractions aux mesures de lutte contre la propagation du coronavirus ont été ouverts au niveau des différents parquets du pays.

Conseil d’État et tribunal de première instance

La légalité et la constitutionnalité de ces restrictions sans précédent ont été questionnées dès le début de la pandémie, par la Ligue des droits humains et Infor Jeunes, notamment via une procédure au Conseil d’État contre les arrêtés ministériels, toujours en cours et via une citation de l’État belge devant le tribunal de première instance.

« Ces arrêtés ministériels ont eu des conséquences désastreuses pour de très nombreux jeunes », explique Hassan Laafoura d’Infor Jeunes, « pour qui le confinement a été une période particulièrement difficile, et qui se sont en plus retrouvés endettés à cause de transactions pénales ou ont maintenant un casier judiciaire ».

Seul le Parlement peut décider de restreindre les droits fondamentaux

La Ligue des droits humains et l’asbl Infor Jeunes Laeken ont donc décidé d’intervenir dans cette procédure devant la Cour constitutionnelle. « Il s’agit pour nous de questions essentielles », pointe Edgar Szoc, président de la Ligue des droits humains, « à savoir la place que l’on donne aux droits fondamentaux et aux principes constitutionnels dans la gestion d’une crise. Notre Constitution ne permet pas que les droits qu’elle contient soient mis entre parenthèses le temps d’une crise. Elle ne permet aucun écart par rapport au principe de légalité : même en temps de crise, le principe démocratique doit être respecté. Nous espérons que la Cour constitutionnelle réaffirmera ce principe, un positionnement nécessaire si nous devons traverser d’autres crises, sécuritaires, climatiques, etc. ».

Loïca Lambert, avocate des deux associations, précise l’enjeu de l’affaire : « La Constitution prévoit que seul le Parlement peut décider de restreindre nos droits fondamentaux et de sanctionner des comportements par la voie pénale. Le but est de garantir qu’un débat démocratique puisse avoir lieu. Le rôle du gouvernement se limite à l’exécution de ce qui a été décidé par le Parlement. Ici, le ministre prétendait qu’une loi sur la sécurité civile lui permettait de prendre seul des mesures telles que l’obligation de rester chez soi ou l’interdiction de voir ses proches. Nous soutenons devant la Cour constitutionnelle que cette loi ne prévoit rien de tout cela. Il est inacceptable au regard de notre Constitution qu’un ministre ait pu agir seul pendant plus d’un an sans y être autorisé par le Parlement ».

Changer le cours de certains dossiers

La décision de la Cour constitutionnelle est très attendue. A Bruxelles, elle pourrait par exemple changer le cours de plus de 2000 dossiers liés à ces mesures de confinement encore en cours de traitement. Ces enjeux nous paraissent désormais éloignés mais ils sont essentiels : l’urgence de gestion d’une crise ne peut pas écraser les droits fondamentaux. C’est par ailleurs pour cette raison que la Ligue des droits humains et la Liga voor Mensenrechten avaient introduit le 21 février 2022 un recours en annulation contre “la loi pandémie” pour s’assurer que les droits et libertés fondamentaux soient respectés en temps de crise.