La possibilité d’éloignement des demandeurs de protection internationale en cours de recours en cassation déclaré admissible par le Conseil d’Etat constitue une violation du droit à un recours effectif. Les décisions du Conseil du contentieux des étrangers de rejet d’une demande de protection internationale ne sont susceptibles ni d’opposition, ni de tierce opposition, ni de révision. Elles sont, aux vœux de l’article 39/67 de la Loi du 15 décembre 1980, uniquement susceptibles du pourvoi en cassation prévu à l’article 14, § 2, des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat.
Depuis 2006, la législation belge organise une procédure de filtre « d’admissibilité » au Conseil d’Etat pour éviter les pourvois abusifs et l’article 20 des lois coordonnées sur le Conseil d’État précise les critères d’admissibilité de ce type de recours en cassation.
Cette procédure d’admissibilité, que le législateur a voulu rapide, vise à permettre un examen prima facie des recours en cassation administrative introduits au Conseil d’Etat, afin de pouvoir rapidement mettre un terme aux procédures introduites sur base de moyens considérés comme n’étant pas sérieux ou manifestement non fondés.
Les recours au Conseil d’Etat ne sont en effet déclarés admissibles que s’ils :
- invoquent une violation de la loi ou la violation d’une règle de forme, soit substantielle, soit prescrite à peine de nullité,
- qui ne soit pas manifestement non fondée,
- que cette violation soit effectivement de nature telle qu’elle peut conduire à la cassation de la décision querellée,
- qu’elle ait pu influencer la portée de la décision.
Ce filtre est donc très difficile à passer et seule une minorité de recours sont déclarés admissibles.
Ces recours, appuyés sur des moyens sérieux ont donc des chances sérieuses d’aboutir à une cassation. Une ordonnance d’admissibilité signifie donc que les moyens invoqués par le demandeur de protection internationale méritent un examen plus approfondi et par conséquent qu’il existe une possibilité réelle de voir sa demande de protection internationale réexaminée sur le fond par le Conseil du Contentieux en cas de cassation.
Certes, l’article 1118 du Code judiciaire prévoit que le pourvoi en cassation en matière civile n’a pas d’effet suspensif et il est généralement enseigné que cette règle vaut pour le recours en cassation administrative[1].
Dans son avis n°39.717 du 10 janvier 2006[2], la Section de Législation du Conseil d’Etat a toutefois estimé
- La disposition en projet ainsi que l’exposé des motifs restent muets quant à un éventuel effet suspensif attaché tant au délai de recours en cassation devant le Conseil d’État qu’au délai d’examen de ce recours[1].
Compte tenu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme en la matière et, spécialement de l’arrêt Conka, précité, cette question doit être abordée dans le cadre de la réforme envisagée.
A cet égard, même si l’article 7 de la directive 2005/85/CE n’ouvre pas de manière expresse à un demandeur d’asile débouté le droit de rester sur le territoire d’un État membre durant l’examen de son ou de ses recours juridictionnels, l’article 39, § 3, de la directive, qui, pour mémoire, n’implique que l’organisation d’un seul degré de recours juridictionnel, dispose:
«Les États membres prévoient le cas échéant les règles découlant de leurs obligations internationales relatives:
- a) à la question de savoir si le recours prévu en application du paragraphe 1[1] a pour effet de permettre aux demandeurs de rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue du recours;
- b) à la possibilité d’une voie de droit ou de mesures conservatoires si le recours visé au paragraphe 1 n’a pas pour effet de permettre aux demandeurs de rester dans l’État membre concerné dans l’attente de l’issue de ce recours (…)».
Il incombe, en conséquence, à l’auteur de l’avant-projet de loi, dès lors qu’il organise une procédure de cassation administrative devant le Conseil d’État, de prendre dûment en considération les obligations internationales qui lient la Belgique au regard, notamment, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales[1], et de s’assurer, tout spécialement, que le système mis en place en droit interne est conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme concernant des violations alléguées de l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention (interdiction des «expulsions collectives d’étrangers») et, a fortiori de l’article 3 de la Convention[1].
Il devrait ainsi être prévu d’attacher un effet suspensif au délai de recours devant le Conseil d’État, de même qu’à la décision déclarant un pourvoi admissible, tout au moins lorsqu’est invoquée, dans le ou l’un des moyens du pourvoi, une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention[1].
- En conclusion, il convient de réexaminer la disposition en projet à la lumière des observations qui précèdent et de veiller tout particulièrement:
– à définir de manière très précise les causes d’admission au pourvoi, en fonction de l’objectif que poursuit l’auteur de l’avant-projet de loi et dans le respect des obligations internationales qui lient la Belgique, notamment au regard du droit à un recours juridictionnel effectif, considéré dans son ensemble;
– à dûment justifier au regard des articles 10 et 11 de la Constitution la différence de traitement qui serait éventuellement maintenue dans les causes d’admission, selon que le pourvoi en cassation concerne ou non le contentieux des étrangers;
– à s’assurer que la procédure mise en place, notamment en ce qui concerne l’octroi ou non d’un effet suspensif, est de nature à éviter une éventuelle condamnation future de la Belgique au regard de ses obligations internationales, et spécialement de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
Cette question reste, nous semble-t-il, d’actualité[3]
A l’instar de la section de législation, la Ligue des droits humains, le Ciré et l’ADDE estiment qu’il devrait être prévu d’attacher un effet suspensif au délai de recours devant le Conseil d’État, de même qu’à la décision déclarant un pourvoi admissible, tout au moins lorsqu’est invoquée, dans le ou l’un des moyens du pourvoi, une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de l’article 4 du Protocole n° 4 à la Convention[1].
Cette interprétation est d’ailleurs celle suivie par l’article 6 §1er, alinéa 3 de la loi du 12 janvier 2007 sur l’accueil des demandeurs d’asile et de certaines autres catégories d’étrangers prévoit que :
« En cas de décision négative rendue à l’issue de la procédure d’asile, l’aide matérielle prend fin lorsque le délai d’exécution de l’ordre de quitter le territoire notifié au demandeur d’asile a expiré. L’introduction d’un recours en cassation au Conseil d’Etat, n’engendre pas de droit à une aide matérielle. Lors de l’examen du recours en cassation un droit à l’aide matérielle est garanti uniquement si le recours en cassation est déclaré admissible en application de l’article 20, § 2, des lois sur le Conseil d’Etat coordonnées le 12 janvier 1973. »
Ainsi que par la Cour de justice de l’Union européenne[4] :
- En effet, la Cour européenne des droits de l’homme a jugé que, lorsqu’un État décide de renvoyer un étranger vers un pays où il existe des motifs sérieux de croire qu’il serait exposé à un risque réel de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, l’effectivité du recours exercé prévue à l’article 13 de la CEDH requiert que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif contre l’exécution de la mesure permettant leur renvoi (voir, notamment, Cour eur. D. H., arrêts Gebremedhin c. France du 26 avril 2007, § 67, ainsi que Hirsi Jamaa et autres c. Italie du 23 février 2012, § 200)
- Il résulte de ce qui précède que les articles 5 et 13 de la directive 2008/115, lus à la lumière des articles 19, paragraphe 2, et 47 de la Charte, doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une législation nationale qui ne prévoit pas de recours avec effet suspensif contre une décision de retour dont l’exécution est susceptible d’exposer le ressortissant en cause de pays tiers à un risque sérieux de détérioration grave et irréversible de son état de santé.
Cela signifie que, pour garantir un traitement conforme à la dignité humaine des demandeurs de protection internationale, des effets juridiques sont attribués par la loi belge à l’ordonnance d’admissibilité prononcée par le Conseil d’Etat et ces personnes peuvent encore être accueillies en Belgique dans les centres d’accueil durant l’examen de leur recours dès lors qu’on ne peut considérer que leur demande de protection internationale est définitivement clôturée.
Vu l’importance des droits protégés dans le cadre de l’examen d’une demande de protection internationale, le droit au recours effectif et le principe de non-refoulement exigent bien évidemment qu’un demandeur de protection internationale ne puisse pas être éloigné du territoire durant l’examen de son pourvoi, déclaré admissible par le Conseil d’Etat.
[1] Ce caractère suspensif ne résulte pas plus de l’exposé des motifs de la loi du 15 septembre 2006 (et notamment : Doc. Parl.Chambre, s.o., Doc 51 2479/001, p.47, www.lachambre.be).
[2] Doc. Parl.Chambre, s.o., Doc 51 2479/001, p.292, www.lachambre.be
[3] Voy. sur cette question l’arrêt de Souza Ribeiro du 30 juin 2011 de la Cour européenne des droits de l’homme (nos accents):
« 43. La Cour observe que le recours dont le requérant a bénéficié a permis de faire reconnaître l’illégalité de l’arrêté préfectoral et, par la suite de lui faire délivrer un titre de séjour, mais qu’en l’absence d’effet suspensif, le tribunal administratif ne s’est pas prononcé sur les griefs du requérant avant que celui-ci ne soit reconduit à la frontière. Toutefois, l’« effectivité » du recours prévu par l’article 13 de la Convention n’exige pas, en principe, que ce recours ait un effet suspensif. La Cour a cependant estimé qu’il pouvait en aller différemment lorsque l’exécution de la décision contestée peut avoir des conséquences potentiellement irréversibles, par exemple sous l’angle de l’article 3 de la Convention (voir Gebremedhin, précité, § 58, et Jabari c. Turquie, no 40035/98, § 50, CEDH 2000-VIII) ou de l’article 4 du Protocole no 4 (Čonka, précité, § 79).
- La Cour note qu’à la différence des dispositions précitées, les conséquences de l’ingérence dans les droits garantis par l’article 8 sont en principe réversibles et le cas d’espèce le démontre car le lien familial n’a pas été durablement rompu à la suite de l’expulsion du requérant. Celui-ci a en effet pu revenir vivre en Guyane quelque temps après son expulsion, certes de manière clandestine, mais il a obtenu un titre de séjour à compter de 2009.
- Compte tenu notamment de la marge d’appréciation dont les Etats jouissent en pareille matière, la Cour considère que le recours offert au requérant pour contester l’APRF était « effectif » au sens de l’article 13 de la Convention, malgré son caractère non suspensif.
- Partant, il n’y a pas eu violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8 ».
[4] CJUE, Centre public d’action sociale d’Ottignies-Louvain-la-Neuve c. Moussa Abdida, 18 décembre 2014.


