L’affaire des affaires

A mi–chemin entre le thriller politico-financier, l’autobiographie et l’enquête journalistique, «l’Affaire des affaires» prouve que la bande dessinée peut aussi être un passionnant support d’information, de réflexion voire d’investigation, accessible à tous. En abordant les deux affaires Clearstream, Denis Robert et Laurent Astier s’attellent à un titanesque travail de pédagogie juridico-économico-financière et rappellent l’impérieux besoin, en démocratie, d’une justice intègre, de médias indépendants… et de citoyens courageux. 

Denis Robert, ancien journaliste de Libération, nous entraîne dans les coulisses fiscalement paradisiaques des chambres de compensation internationales et dans l’enfer des manipulations politiques, de la censure et du harcèlement judiciaire. 

Raconté à la première personne, ce récit, qui se lit comme un roman. Il expose avec pédagogie les processus de dissimulation de transactions financières au niveau mondial et leur coût social à travers dix ans d’enquêtes, de procès, de condamnations et de rebondissements. Il pointe de manière lucide la perversité de mécaniques financières, judiciaires et politiques qui dévoient nos démocraties et participent, en utilisant les deniers publics à des fins d’enrichissement personnels, à la précarisation sociale. «Le financement de la vie publique a bon dos, surtout quand l’argent est black et revient de Zurich ou d’Antigua (…). Commissions sur les marchés à l’export, commissions sur le montage d’une usine d’incinération, commissions sur la construction de lycées, de ponts, de tribunaux, de grands magasins… Quelque chose est vicié dans la chaîne économique». 

Vigilance et autres conséquences 
A travers cette aventure éditoriale remarquable, Denis Robert appelle à la vigilance, propose des outils concrets pour lutter contre le crime financier (il a réuni en 1996 sept grands magistrats anti-corruption pour lancer «l’Appel de Genève» visant à créer un espace judiciaire européen) tout en pointant les dangers personnels encourus par ceux et celles qui tenteraient, comme lui, d’enrayer ces machines à broyer de la mondialisation (procès en cascade, pressions politiques et médiatiques…). Les conséquences de cette affaire sur la vie, privée et professionnelle, du journaliste sont à cet égard particulièrement bouleversantes. 

Et la mésaventure de Denis Robert de faire douloureusement écho à celle que traverse aujourd’hui Antoine Deltour dans le cadre du LuxLeaks, dans un contexte que la Directive « Secret des Affaires » a rendu encore plus complexe et périlleux pour les lanceurs d’alerte. Malgré cette épée de Damoclès particulièrement inique, les révélations (Panama Papers, Malta Files…) visant à tenter d’amener sous une lumière crue ces systèmes viciés et injustes qui se nourrissent de l’ombre. Et à cet égard, « L’Affaire des Affaire » est indubitablement un ouvrage éclairant. Mais pendant ce temps, les affaires continuent…  

«L’Affaire des affaires, l’intégrale» de Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier, Dargaud 2015