Vidéosurveillance : la Ligue des droits humains demande un moratoire sur l’installation de nouvelles caméras en Belgique francophone

Bruxelles, le 5 novembre 2025

Le Vif et Le Soir publient cette semaine, en collaboration avec la Ligue des droits humains et Technopolice BXL, l’enquête « Sous surveillance ». Pendant plusieurs mois, la Ligue, Technopolice et les journalistes de ces deux médias ont récolté des données auprès des communes belges francophones pour comptabiliser le nombre de caméras sur leur territoire. Résultats ? Près de 80 % des communes sondées recourent à la vidéosurveillance contre 20 % il y a 10 ans. La LDH dénonce la généralisation de ces outils de surveillance et le fait qu’ils fassent rarement l’objet d’analyse d’impact. La Ligue et le collectif Technopolice demandent un moratoire sur l’installation de nouvelles caméras en Belgique francophone.

Près de 80 % des communes francophones disposent de caméras

Le nombre de caméras qui surveillent nos rues a explosé en Belgique francophone : en 2016, seules 20 % des communes sondées avaient recours à la vidéosurveillance. Aujourd’hui, près de 80 % des communes disposent désormais de caméras dans l’espace public. En région bruxelloise, toutes les communes en sont dotées.

Ces chiffres sont le résultat d’une longue enquête commune réalisée avec la presse écrite : la Ligue des droits humains et le collectif Technopolice BXL ont introduit ces dernières années des demandes « CADA », des demandes d’accès à des documents administratifs. Les pièces demandées ? La liste des caméras de surveillance placées dans l’espace public, les autorisations et les analyses d’impacts relatives à l’installation de ces caméras et enfin, les documents relatifs aux marchés publics.

La presse a ensuite redoublé de patience et de détermination pour contacter chacune des communes et tenter de recevoir une réponse sur les dispositifs installés sur leur territoire. Les freins liés au manque de transparence des autorités publiques avaient été soulignés lors du premier volet de cette enquête en octobre 2024.

D’autres sources (articles de presse, rapports annuels, PV de conseils communaux, etc.) sont venues compléter ces informations. Ces recherches complémentaires portent à près de 95 % la part de communes pour lesquelles nous disposons des informations sur le nombre de caméras dont elles sont équipées.

Dans les communes déjà surveillées, le nombre de caméras a doublé en 10 ans

En Région wallonne et à Bruxelles, le décompte du nombre de caméras de surveillance s’élève à plus de 6.000 caméras installées dans l’espace public, par les communes ou les zones de police.

La carte est visible ici. 

On peut y ajouter les plus de 18.000 caméras de la STIB à Bruxelles et 9.250 du côté des TEC. La SNCB dispose quant à elle 15.000 caméras sans que l’on ne connaisse leur répartition précise entre les trois régions. Le calcul ne prend par ailleurs pas en compte les milliers de caméras installées dans les aéroports, les ports, devant les magasins ou les complexes universitaires, chez les particuliers et dans les entreprises. Selon le SPF Intérieur, 544.835 caméras non policières sont ainsi enregistrées en Belgique…

Et si l’on décortique les chiffres: dans les communes qui disposaient déjà de caméras de surveillance il y a 10 ans, la course à l’équipement s’est accélérée : leur nombre a doublé dans l’espace public. Parmi les dispositifs installés, on peut noter le recours de plus en plus systématique aux caméras ANPR (les caméras à reconnaissance de plaques d’immatriculation), et ce, tant dans les grandes villes que dans les zones plus rurales.

Surveiller, le leurre de l’efficacité

Cette course à la vidéosurveillance ne repose pourtant sur aucune étude sérieuse pour évaluer la pertinence de la mesure. La littérature scientifique est unanime sur l’inefficacité des caméras. Ces dispositifs n’ont pas l’effet dissuasif que l’on voudrait leur donner, selon une étude du SPF intérieur lui-même.

La vidéosurveillance est pourtant un outil qui coûte cher : on estime que pour acheter, installer et relier une caméra aux écrans de contrôle du commissariat, cela coûte autour de 30 000 € (sans compter les coûts de maintenance ni le salaire des agents de police pour traiter les images).

Quel impact sur les droits humains ?

Les communes s’équipent donc à tour de bras de caméras, sans en interroger l’efficacité et alors que la vidéosurveillance représente un budget considérable. L’enquête menée ces derniers mois va plus loin et démontre d’ailleurs qu’on surveille, sans objectifs clairs et quasiment sans analyse d’impact relatives à la protection des données (AIPD). Elles sont pourtant chargées d’évaluer le risque que représente le dispositif pour les libertés et droits des personnes et obligatoires depuis l’entrée en vigueur du RGPD. Parmi les réponses de communes disposant de caméras, seules 25 % comportent une AIPD. Si certaines autorités ont invoqué des exceptions de sécurité pour ne pas nous les communiquer, il y a fort à parier que nombre d’entre elles ne les ont simplement jamais réalisées. La Ligue des droits humains rappelle pourtant que le droit à la vie privée est un droit fondamental et que toute atteinte doit être proportionnée et justifiée.

Renforcer la surveillance, c’est renforcer les discriminations

Ce que la carte ne montre pas, par contre, ce sont les inégalités face à la surveillance : les quartiers populaires, à forte densité, sont les plus surveillés.

Selon le chercheur en géographie humaine de l’ULB Corentin Debailleul, à Bruxelles, la majorité des caméras se trouve dans le centre-ville, en particulier dans les espaces commerciaux et touristiques. Ensuite, plus on s’éloigne de ce centre et moins on dénombre de caméras. Cette diminution se fait néanmoins de manière très inégale : en allant vers les quartiers plus aisés du sud-est (Boitsfort, Auderghem, Woluwé, etc.) on trouve beaucoup moins de caméras que si on se dirige vers le nord-ouest, et notamment vers les quartiers populaires jouxtant le canal comme Cureghem ou Molenbeek, qui sont, eux, particulièrement vidéosurveillés.

La vidéosurveillance surexpose les quartiers populaires et les personnes vulnérables (personnes migrantes, racisées, minorités, sans-abris, etc.) au contrôle et à la répression policière. Ces caméras, couplées à des logiciels de traitement d’images amplifient les logiques de ségrégations socio-spatiales et les traitements discriminatoires par les autorités. La reconnaissance faciale, dans les cartons du gouvernement, repose entre autres sur ces réseaux de caméras : la technologie numérique décuple les risques énoncés ci-dessus.

Un moratoire sur l’installation de nouvelles caméras

La Ligue des droits humains dénonce la grande légèreté dans l’approche de la question par les pouvoirs publics. Alors que la surveillance permanente de l’espace public, dorénavant largement couplée à des logiciels d’analyse d’images, constitue une mesure particulièrement invasive, les autorités semblent considérer la vidéosurveillance comme un outil banal.

Avec Technopolice BXL, la Ligue exige des autorités un moratoire sur l’installation de nouvelles caméras, tant qu’un débat sérieux ne sera pas mené sur leur utilité. Un tel débat doit permettre d’explorer les alternatives à cette logique sécuritaire, qui s’appuient sur les solidarités locales et la justice sociale.

 

à lire ici, le dossier du Soir 

à lire ici, le dossier du Vif