Bruxelles, le 31 janvier 2025
C’est un moment charnière : la Belgique va-t-elle autoriser l’usage de la reconnaissance faciale en temps réel, à des fins répressives ? Une partie de l’AI Act, le règlement européen sur l’intelligence artificielle, entre en application le 2 février prochain. Il interdit l’usage de cette technologie dans l’espace public mais prévoit plusieurs exceptions. Il appartient maintenant à chaque État membre d’adopter une loi en la matière. La Ligue des droits humains et la Liga voor mensenrechten plaident pour une interdiction, sans exception, de la reconnaissance faciale en Belgique.
À partir du 2 février 2025, une partie de l’AI ACT entrera en application. Parmi les dispositions concernées, figure l’usage de la reconnaissance faciale dans l’espace public par la police. L’AI Act interdit l’usage de cette technologie en raison des risques qu’elle fait courir aux citoyen·nes européen·nes mais il prévoit également des exceptions. Les deux Ligues appellent les autorités belges à voter une loi protectrice des droits de chacun·e et avancent trois raisons :
1. Des exceptions floues et un glissement des finalités
L’AI Act formule plusieurs exceptions qui permettraient aux États membres de l’Union Européenne de légaliser l’usage de la reconnaissance faciale, comme la recherche ciblée de personnes, la prévention d’une menace réelle d’attentat terroriste ou encore l’identification d’une personne soupçonnée d’avoir commis certaines infractions pénales. Les contours de ces exceptions sont très flous et concernent notamment des infractions pénales très larges. Le texte vise, en autres, la criminalité environnementale qui pourrait englober tant le trafic d’espèces menacées que les dépôts clandestins. Les termes de « criminalité environnementale » ont d’ailleurs été utilisés pour qualifier les incivilités et infractions liées aux dépôts clandestins, dans un appel à projets de la région wallonne qui visait à soutenir financièrement les communes dans l’acquisition de la vidéosurveillance. En octobre dernier, le président du parti socialiste flamand proposait également d’utiliser la reconnaissance faciale contre les dépôts clandestins.
Les définitions de ces infractions sont élastiques et loin d’encadrer solidement des exceptions qui permettraient un usage limité de la reconnaissance faciale.
Et qu’en est-il de la définition du terrorisme ? Plusieurs recherches décrivent une « focalisation unilatérale sur les musulmans », et montrent comment « les mesures antiterroristes ciblent des communautés musulmanes spécifiques, faisant ainsi des musulmans une communauté suspecte ». L’enregistrement dans des bases de données dépend notamment du contexte politique. Lors du conflit en Syrie par exemple, le « climat de panique » a eu pour conséquence d’augmenter « excessivement le nombre de personnes suspectées de radicalisation » et de mener « à une surévaluation du risque ». En novembre dernier, le Vlaams Belang a par ailleurs déposé une proposition de résolution visant à étendre la liste belge des organisations terroristes aux mouvements Black Lives Matters, anti-fasciste et Extinction Rebellion. Les définitions de ces infractions sont élastiques et loin d’encadrer solidement des exceptions qui permettraient un usage limité de la reconnaissance faciale. Au contraire, elles en élargiraient le champ.
2. Consultations abusives des bases de données par la police
Cette technologie de surveillance biométrique repose sur trois composantes indispensables, parmi lesquelles les bases de données : des caméras de vidéosurveillance captent les images de nos visages qui sont comparées, au moyen de logiciels de reconnaissance faciale, à celles contenues dans des bases de données policières.
Une culture de l’« indulgence » à l’égard des infractions commises en matière de traitements illicites des banques de données policière.
Ces bases de données sont entourées d’une opacité importante, qu’il s’agisse de connaître leur nombre ou les informations qu’elle contiennent. En Belgique, une personne sur trois figure pourtant dans la BNG, la Banque de données nationale générale. Or, l’Organe de contrôle de l’information policière (COC), a plusieurs fois dénoncé les utilisations illégales, faites par des policier·ères, des bases de données à leur disposition, violant ainsi la vie privée des personnes concernées. Dans un rapport, il décrivait en 2023 une culture de l’« indulgence » à l’égard des infractions commises en matière de traitements illicites des banques de données policières. Ces transgressions posent d’énormes questions, à l’heure où le nombre et la taille de ces « banques » ne cessent d’augmenter. Les nouvelles données personnelles engrangées par un système de reconnaissance biométrique ne feront que participer à leur démultiplication. Plus la police utilisera des technologies avides de données personnelles, et plus le fichage de la population augmentera.
Autre problème : La surreprésentation, dans ces bases de données policières de groupes de personnes historiquement marginalisées et criminalisées, comme les personnes d’origine étrangère ou les personnes sans-abris par exemple : une utilisation de la reconnaissance faciale renforcerait la surveillance de ces groupes en particulier en automatisant leur contrôle et ce, de façon parfaitement invisible.
3. Et demain, qui surveillera ?
Lorsqu’il s’agit de renoncer à nos libertés pour renforcer le pouvoir de l’État, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences qu’auraient ces décisions dans le contexte d’un régime autoritaire. Le parti d’extrême droite Vlaams Belang est désormais au pouvoir dans quatre communes flamandes : Brecht, Ranst, Iseghem et Ninove. L’extrême droite gagne du terrain, et les dérives autoritaires et racistes se font également sentir au sein d’autres partis politiques.
« L’histoire montre qu’une fois qu’une technologie s’est imposée dans la société, on ne peut plus revenir en arrière. »
Débat démocratique sur la surveillance
Le ministre de la Justice en affaires courantes a déposé en décembre dernier une proposition de loi visant à permettre à la police d’utiliser la reconnaissance faciale en temps réel. À la suite de cette proposition de loi, la chercheuse de la KULeuven Sofie Royer mettait en évidence dans le Juristenkrant la nécessité d’une réflexion approfondie et d’un débat parlementaire : « La précipitation et l’urgence sont rarement bonnes ». Elle rappelait que « l’histoire montre qu’une fois qu’une technologie s’est imposée dans la société, on ne peut plus revenir en arrière. » Par cette course en avant technologique, les autorités nous privent d’un débat public sur les solutions structurelles et adaptées aux problèmes sociétaux qu’elles disent vouloir régler, préférant s’en remettre aux entreprises dont le but n’est ni l’intérêt général, ni le respect de nos droits fondamentaux.
Interdiction, sans exception, de la reconnaissance faciale
La Ligue des droits humains et la Liga voor mensenrechten appellent le Parlement fédéral à permettre un réel débat démocratique impliquant des spécialistes, mais aussi la société civile et les communautés affectées par les technologies de surveillance afin de mettre en lumière les nombreux dangers inhérents à ces systèmes. Les deux associations plaident, ensemble, en faveur d’une interdiction pure et simple de la reconnaissance faciale en Belgique.