L’état d’urgence sanitaire s’est « normalisé » dans certains pays de l’UE, selon le rapport de Liberties sur l’État de droit

Dans un certain nombre de pays de l’UE, les organisations de défense des droits s’inquiètent de la normalisation des états d’urgence mis en place pour lutter contre la pandémie. Selon un rapport annuel qui évalue l’État de droit en Europe, des gouvernements de plus en plus autoritaires ont affaibli encore plus les normes démocratiques, dans un contexte de défis persistants liés à la pandémie.

Deux ans après le début de la pandémie de Covid-19, les gouvernements semblent incapables ou peu désireux d’abandonner les mesures de restriction mises en place pour lutter contre la propagation du virus ou de les soumettre à des contrôles démocratiques ordinaires, selon les conclusions du rapport long de 486 pages de la Civil Liberties Union for Europe (Liberties), une organisation de défense des droits humains basée à Berlin qui réunit 19 organisations membres en Europe. Les contrôles opérés sur les gouvernements sont déjà affaiblis dans plusieurs pays, en raison de mécanismes de contrôle constitutionnel inefficaces, d’un accès réduit au contrôle judiciaire, de l’insuffisance de la consultation publique et de l’absence d’autorités de surveillance indépendantes et efficaces. Les organisations de défense des droits craignent que cela ne mène progressivement à une diminution progressive et sur le long terme du contrôle du pouvoir exécutif de la part du parlement et de la société civile.

Le Rapport sur l’État de droit 2022 de Liberties représente l’évaluation la plus complète de l’état des droits humains, de la liberté de la presse et de la justice ainsi que des cadres de lutte contre la corruption et de contrôle des pouvoirs en Europe. Il rassemble les mises à jour de trente-deux organisations de défense des libertés civiles dans 17 pays : Allemagne, Belgique, Bulgarie, Croatie, Espagne, Estonie, France, Hongrie, Irlande, Italie, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie et Suède.

Les conclusions et recommandations du rapport sont prises en compte par la Commission européenne dans le cadre de son mécanisme de surveillance et de son rapport annuel sur l’état de droit, qui donnera lieu à des visites de responsables dans toute l’Europe dans les mois qui viennent.

Les principales conclusions du rapport sont :

● La Hongrie et la Pologne poursuivent leur dérive autoritaire et ont accéléré le démantèlement des normes démocratiques en prenant davantage le contrôle du système judiciaire, de la société civile et des médias, tout en entravant les droits humains. Ces gouvernements continuent d’alimenter les divisions en faisant des migrants et d’autres groupes minoritaires des boucs émissaires. La Slovénie souffre d’un climat d’hostilité, de méfiance et d’une profonde polarisation. Des personnalités politiques de premier plan ont notamment fait en sorte de supprimer les financements des médias, mais aussi engagé des poursuites judiciaires abusives et menacer des voix critiques.

● Dans bon nombre de pays, la liberté de la presse et la société civile ont subi une pression croissante. Les journalistes sont confrontés à un environnement de travail de moins en moins sûr. Ils font l’objet d’un nombre plus élevé d’agressions physiques et verbales que les années précédentes (y compris de la part de la police), et sont confrontés aux discours de haine en ligne et aux intimidations judiciaires.

● Dans l’ensemble, le rapport observe peu de signes de progrès en ce qui concerne la situation de l’État de droit. La plupart des gouvernements ont laissé stagner des problèmes déjà existants. Les niveaux de corruption sont généralement restés inchangés ou ont augmenté. Dans plusieurs pays, les problèmes de corruption signalés sont liés à la gestion de la pandémie et à l’utilisation (illégale) de fonds de l’UE. Les organisations de la société civile et les défenseurs des droits continuent de faire face à des attaques verbales et physiques, à des intimidations judiciaires et à des campagnes de diffamation. Ces attaques visent particulièrement celles et ceux qui travaillent sur des questions sensibles telles que les droits des minorités religieuses et ethniques, les droits des personnes LGBTQI+, la protection de l’environnement et la lutte contre les violences policières. Dans de nombreux pays, les lois limitent encore de manière disproportionnée la liberté d’expression légitime. L’égalité des femmes et des personnes LGBTQI+ a fortement reculé dans un certain nombre de pays, et la discrimination et le racisme structurels persistent dans l’ensemble de l’UE. Ces problèmes incluent notamment les contrôles au faciès et les brutalités policières, ainsi que les violations généralisées des droits des migrants, notamment les refoulements violents et les mauvais traitements.

En ce qui concerne les avancées positives, Liberties et ses membres ont observé dans certains États membres de modestes progrès dans le domaine de la justice. Le soutien apporté par l’Estonie aux organisations de la société civile pendant la pandémie, à travers l’assouplissement des règles administratives, a été salué. En Slovaquie, les réformes en matière de justice et de lutte contre la corruption progressent, tandis que l’Italie fait de réels efforts pour réduire les retards des tribunaux et la lenteur des procédures, et pour améliorer son système pénitentiaire. Enfin, le gouvernement croate a adopté des mesures visant à réglementer et à promouvoir des normes professionnelles et éthiques pour les médias en ligne, ce qui a également été salué.

« Ce rapport revient sur les limites dangereusement floues qui entourent les mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire et alerte sur l’accélération du recul de l’État de droit dans certains pays de l’UE. La Commission européenne devrait intensifier ses efforts afin de remédier à ces dérives qui entachent la démocratie, dans l’intérêt de l’Union et du nombre croissant de défenseurs des droits et citoyens qui se sont marginalisés, intimidés et trompés. L’UE a bien fait d’empêcher que les euros des contribuables ne tombent dans les poches des gouvernements autoritaires de Hongrie et de Pologne. Elle devrait aller plus loin en engageant des procédures d’infraction stratégiques, et au besoin, activer le mécanisme sur la conditionnalité liée à l’État de droit », explique le directeur exécutif de Liberties, Balazs Denes.

Le 16 février, la Cour de justice de l’UE (CJUE) devrait confirmer que la Commission européenne a le pouvoir de retirer des fonds à un pays membre en cas de violations de l’état de droit. La Commission retient actuellement des milliards d’euros de fonds destinés à la Hongrie et à la Pologne, prévus dans le cadre du plan de relance pour l’Europe visant à faire face aux conséquences de la Covid-19.

Le rapport 2022 dans son intégralité est disponible ici.

Le rapport 2022 sur la Belgique est disponible ici.

Organisations membres de Liberties :
Associazione Antigone (Italy)
Ligue des droits humains (Belgique)
Comité d’Helsinki (Bulgarie)
Centre for Peace Studies (Croatie)
Civil Rights Defenders (Suède)
Centre estonien des droits humains (Estonie)
Human Rights Monitoring Institute (Lituanie)
Union hongroise de libertés civiles (Hongrie)
La Coalition italienne pour les droits civils et les libertés (Italie)
Juristen Comité voor de Mensenrechten (Pays-Bas)
Fondation polonaise du Comité d’Helsinki pour les droits de l’homme (Pologne)
Rights International Spain (Espagne)
Gesellschaft für Freiheitsrechte (Allemagne)
Comité d’Helsinki (Roumanie)
The Irish Council for Civil Liberties (Irlande)
Mirovni inštitut (Slovénie)
VIA IURIS (Slovaquie)
VoxPublic (France)

Le 15 février 2022