Accord « Arizona » : recul préoccupant pour les droits sociaux et droits des étranger·ères et tournant sécuritaire confirmé

Bruxelles, le 02 février 2025

La Ligue des droits humains a réalisé une première analyse de l’accord de gouvernement Arizona (la N-VA, le MR, les Engagés, CD&V et Vooruit) tombé le vendredi 31 janvier 2025. Droits sociaux, droit d’asile, surveillance, prisons, etc. : la LDH dénonce un recul alarmant de droits fondamentaux dans plusieurs matières, en particulier pour les personnes les plus vulnérables, ainsi qu’un tournant sécuritaire inquiétant. La Ligue des droits humains rappelle au nouveau gouvernement que l’État de droit les oblige au respect des droits humains.

Après sept mois de négociations, le gouvernement Arizona a conclu un accord qui donne le ton de ces cinq prochaines années : austérité budgétaire, tournant sécuritaire et droits fondamentaux des plus vulnérables piétinés. La LDH épingle au moins quatre points problématiques en matière de droits fondamentaux.

1. Droits des étranger·ères : la Convention de Genève détricotée

La NV-A avait promis la politique migratoire la plus sévère jamais pratiquée en Belgique, la majorité Arizona l’a mise sur les rails dans son accord. Alors que la Belgique a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme et par ses tribunaux des milliers de fois pour la violation de ses obligations internationales en matière d’accueil des demandeur·euses d’asile, la nouvelle majorité fédérale entend réduire sa capacité d’accueil. Les places en centres fermés vont par contre doubler. Tout est dit. L’Arizona limite l’accueil au mépris des accords européens et de la Convention de Genève. Elle ambitionne aussi de réduire les autres possibilités de séjour et d’augmenter les expulsions.

L’accord annonce en effet des restrictions importantes, en matière d’accès et d’effectivité des procédures de recours, d’accès à la sécurité sociale et de regroupement familial. L’intégration de l’Office des étrangers au sein de la police ainsi que l’intensification de la politique de retour, qui inclut le retour des visites domiciliaires, participent à la criminalisation des personnes étrangères, en ce compris celles qui sont demandeuses de protection internationale. Et ce, dans un contexte où les conflits se multiplient : on pense notamment à l’Ukraine, à Gaza et dernièrement à Goma. En indiquant vouloir réévaluer l’interdiction d’enfermer les enfants, l’Arizona inscrit sa politique non seulement dans la fermeté, mais aussi dans l’inhumanité.

L’Arizona marquera donc un tournant décisif dans l’extrême-droitisation des politiques migratoires en Belgique

Dans leur ensemble, les mesures proposées entament le droit à la protection de la vie privée, le droit à la protection de la vie familiale, les droits de l’enfant, le droit à la dignité humaine, l’interdiction d’être soumis à des traitements inhumains ou dégradants, le droit au recours effectif, le droit à l’asile, le droit à la sécurité sociale, le droit d’accès à un tribunal indépendant et impartial, et le principe d’égalité et de non-discrimination.

L’Arizona marquera donc un tournant décisif dans l’extrême-droitisation des politiques migratoires en Belgique.

2. Recul des droits sociaux

C’est l’austérité budgétaire qui guide les réformes prévues dans le domaine de l’emploi.

Les personnes en situation de chômage basculeront d’autant plus vite sous les seuils de pauvreté que leurs efforts feront l’objet d’une contractualisation et d’un contrôle sévères

La LDH épingle d’abord la limitation dans le temps du paiement des allocations de chômage, qui s’éteindront après deux ans. Les conséquences sur les revenus des personnes en situation de chômage, spécialement les personnes cheffes de famille et isolées en majorité, seront désastreuses : elles basculeront d’autant plus vite sous les seuils de pauvreté que leurs efforts feront l’objet d’une contractualisation et d’un contrôle sévères. Les CPAS qui explosent déjà sous le nombre de dossiers, ne pourront supporter l’arrivage massif de ces personnes exclu·es et de leur coût reporté sur les communes, déjà exsangues. Ce transfert du chômage vers les CPAS (près de 100.000 personnes, selon la presse) est un mauvais calcul, en termes de droits fondamentaux et en termes financiers, pour tout le monde.

Par ailleurs, les nouvelles mesures concernant les pensions qui renforcent les conditions du travail effectif vont compliquer le droit à une pension décente. Les publics les plus fragilisés en souffriront d’autant plus, parmi lesquels les femmes, travaillant plus à temps partiel, avec moins de carrière complète en raison de la persistance d’une répartition inégale des charges domestiques et familiales entre hommes et femmes.

Enfin, l’accord Arizona fait aussi de la flexibilité le maître mot de sa politique d’emploi, mettant à mal l’aménagement vie privée / vie professionnelle de beaucoup de ménages.

3. Tournant sécuritaire

On ignore encore s’il s’agira d’un ministère de l’intérieur ou de la sécurité, mais l’accord Arizona est très clair, en ce qu’il veut renforcer les services de police, en augmentant leur présence dans certains lieux comme les gares et en augmentant leurs prérogatives répressives : fouilles préventives, sanctions administratives communales élargies, transactions pénales immédiates, etc. Quant aux approches préventives et sociales, elles sont à peine mentionnées mais jamais traduites en mesures précises, contrairement à l’approche répressive beaucoup plus concrète. Dans le texte, rien n’est dit quant à la lutte contre les violences policières et le profilage racial, alors que ces dernières années, l’actualité a été marquée plusieurs fois par la mort de personnes lors d’interventions policières.

La Ligue des droits humains dénonce aussi la volonté de l’Arizona de déployer la technologie de reconnaissance faciale et rappelait la semaine dernière les dangers que cette technologie représente.

Autre inquiétude pour les libertés publiques : le retour de la peine complémentaire d’interdiction de manifester qui avait mobilisé largement ONG et syndicats à la fin de l’année 2023 avant d’être abandonnée par le gouvernement fédéral précédent. Cette mesure entrave gravement le droit de manifester, comme le fait déjà l’atteinte méchante à l’autorité de l’État votée en avril 2024. Les termes flous entourant le droit de grève ainsi que l’intention de brider la communication des mutualités (« leur propagande partisane », dit l’accord) suscitent aussi de l’inquiétude.

4. Justice oubliée, prisons renforcées

Le nouveau gouvernement n’a visiblement pas pris la mesure de l’arriéré judiciaire qui gangrène le fonctionnement de la justice belge. Aucune mesure forte n’est proposée, ni refinancement. La justice est pourtant l’un des piliers majeurs de l’État de droit.

Pour lutter contre la surpopulation, il faut travailler sur les politiques pénales, pas construire de nouvelles prisons

Par contre, le caractère inacceptable de surpopulation carcérale est souligné. Quelles solutions sont proposées ? Augmenter les places en prison, en en construisant de nouvelles, en développant des structures modulaires ou en louant des prisons à l’étranger pour les détenu⸱es sans titre de séjour. Une politique qui n’a rien changé ces 30 dernières années. Pour lutter contre la surpopulation, il faut travailler sur les politiques pénales. Or, la déclaration prévoit une augmentation de la sévérité pénale dans de nombreux domaines d’une part, et prévoit de rendre plus compliquées les libérations conditionnelles d’autre part.

Les droits fondamentaux ne sont pas une variable d’ajustement

Les droits fondamentaux et les libertés publiques ne peuvent en aucun cas servir de variable d’ajustement de politiques publiques qui prétendent résoudre les défis économiques, sociaux et environnementaux

La Ligue des droits humains restera vigilante tout au long de la législature, afin de rappeler autant de fois que nécessaire au gouvernement Arizona les limites que lui impose un État de droit. Les droits fondamentaux et les libertés publiques ne peuvent en aucun cas servir de variable d’ajustement de politiques publiques qui prétendent résoudre les défis économiques, sociaux et environnementaux auxquels sont confrontés les démocraties. Qu’il s’agisse des personnes étrangères, détenues, allocataires sociales, militantes, pensionnées, demandeuses d’emploi, ou traduites en justice, la Ligue des droits humains appelle à la protection de tous leurs droits fondamentaux, dans le respect des principes d’égalité et de non-discrimination.