Non au traité budgétaire!

Thème: droits économiques, sociaux et politiques – Lettre ouverte aux députés wallons et bruxellois à l’heure du vote concernant la ratification du traité budgétaire par la Belgique.

Madame la députée,
Monsieur le député,

Le 10 décembre dernier, journée internationale des droits de l’Homme, la Ligue des droits de l’Homme et la CNE ont annoncé, avec le soutien moral de l’Association européenne des     droits de l’Homme, leur intention d’introduire un recours contre la norme fédérale d’assentiment relative au traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). Ce     faisant, nous souhaitons éviter le recul dramatique en matière des droits fondamentaux  qu’instaure le TSCG. Un recul pointé non seulement par nos associations mais également     récemment par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muiznieks. Dans son rapport « Safegarding human rights in times of economic crises » (« Préserver les droits de l’homme en temps de crise« ) publié le  3 décembre dernier, il dresse le constat accablant des dommages que la crise et les politiques d’austérité provoquent sur les droits économiques et sociaux des citoyens européens. Des mesures qui mettent à mal les générations futures en matière d’éducation, de santé, d’accès à la justice, etc.

En votre qualité de parlementaire, vous pouvez encore changer la donne en vous prononçant, lors du vote, contre les normes d’assentiment relatives et bloquer le processus de ratification du TSCG au niveau belge.

Le TSCG amène en effet un triple recul inacceptable :

1/ Il constitue une atteinte grave aux droits économiques, sociaux et culturels en ce qu’il grave, en imposant une limitation du déficit budgétaire à 0,5%, une politique d’austérité dans les droits nationaux. Auditionné par les députés wallons et bruxellois le 4 décembre, l’économiste Joseph Pagano a lui-même reconnu que cette exigence était intenable sans une croissance nominale de minimum 3,5 à 4% ! Il sera donc extrêmement difficile pour les Etats d’atteindre cet objectif de 0,5% sans sabrer dans les budgets, parmi lesquels, sans aucun doute, les budgets sociaux. Avec à la clé, une détérioration inéluctable des droits sociaux, des conséquences graves pour les populations les moins favorisées et, à terme, pour l’ensemble des classes moyennes. Pourquoi continuer des politiques d’austérité – dont l’inefficacité est aujourd’hui manifeste et admise par la plupart des économistes – au risque de régressions significatives de droits économiques et sociaux ?

2/ Il constitue une atteinte intolérable au processus démocratique en ce qu’il dépossède les Parlements des Etats membres de leurs prérogatives en matière budgétaire, au profit d’institutions non directement élues. Le TSCG remet ainsi fortement en cause la possibilité pour les gouvernements d’établir une politique budgétaire en phase avec les choix démocratiques de la population. Par ailleurs, il impose aux Etats parties d’ancrer dans leurs droits internes respectifs, au moyen de « dispositions contraignantes et permanentes », les règles relatives à l’interdiction des déficits publics excessifs et à leur correction « automatique ». Le TSCG accorde donc à la Commission européenne et à la Cour de justice de l’Union européenne des moyens supplémentaires pour sanctionner les Etats qui ne se plieraient pas à ces règles. Autrement dit, le traité impose de modifier notre droit interne et de lui imprimer de manière arbitraire et non démocratique un caractère néolibéral qu’il sera très difficile d’effacer.

3/ Il poursuit la mise en œuvre de politiques économiques qui mènent droit au mur. L’expérience historique, notamment la crise des années 1930, enseigne que les politiques de relance budgétaire sont un instrument indispensable de gestion des grandes crises économiques. D’autre part, la crise actuelle montre que les politiques d’austérité ont eu un impact sur la croissance économique beaucoup plus considérable que ce qui avait été anticipé. Ce fait est ouvertement admis aujourd’hui par des instances officielles comme le FMI et par de très nombreux économistes y compris libéraux (nous pensons notamment à Paul De Grauwe) . C’est donc contre toute logique que l’on impose un traité qui, quoi qu’on en dise, empêchera un peu plus les Etats de mener des politiques de relance budgétaire. Le TSCG incarne une incapacité à tirer un trait sur des théories et des politiques économiques clairement mises en échec par la crise actuelle. Cette fuite en avant dans le dogmatisme contraste fortement avec l’expérience des années 1930. La crise fut résolue alors par l’émergence de personnalités comme Roosevelt ou Keynes, qui eurent le courage de mettre en question les idées anciennes. C’est de cela dont nous avons aujourd’hui le plus besoin.

Voter le TSCG, c’est faire peser de lourdes incertitudes sur les possibilités de pouvoir respecter, à l’avenir, les droits économiques et sociaux, droits fondamentaux inclus, au même titre que les droits civils et politiques, dans la Déclaration universelle des droits de l’Homme.

Voter le TSCG, c’est renoncer au pouvoir légitime des institutions démocratiquement élues – donc au pouvoir de vos assemblées – et attester de la prééminence des marchés et d’institutions non démocratiquement élues.

Voter le TSCG, c’est enfin se faire l’otage de théories économiques qui ont échoué et qui continueront à le faire. Il faut repenser nos politiques macroéconomiques, et un premier pas pour le faire est de rejeter le TSCG.

Nous espérons que vous prendrez, comme nous, vos responsabilités, en tant qu’élus mais également en tant que citoyen soucieux du respect des droits fondamentaux et de la démocratie.

Veuillez agréer, Madame la députée, Monsieur le député, l’expression de mes meilleures salutations.

Alexis Deswaef, Président LDH
Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général CNE