Tracing et légalité des mesures sanitaires : la Cour constitutionnelle valide mais rappelle des principes fondamentaux

Bruxelles, le 22 septembre 2022

Ce 22 septembre 2022, la Cour constitutionnelle a rendu deux décisions en lien avec la crise du coronavirus. La première concerne le tracing des contacts pour lutter contre le covid. Selon la Cour, plusieurs points sur ce traçage manuel et numérique (coronalert) ne sont pas constitutionnels. Elle rappelle notamment qu’une durée maximale de conservation des données personnelles doit être prévue. La deuxième décision valide la base légale des mesures sanitaires. La Cour considère par contre qu’il n’était pas justifié d’interdire au juge de tenir compte de circonstances atténuantes lorsqu’il statue sur les infractions à ces mesures.

La première décision de la Cour constitutionnelle porte sur la législation du « tracing », le traçage des contacts pour lutter contre le covid. Le tracing ou le suivi de contacts vise à remonter la chaîne de contaminations pour ralentir le virus. Il a été mis sur pied au plus fort de l’épidémie, sur la base d’un accord de coopération. En introduisant un recours devant la Cour constitutionnelle, la Ligue des droits humains ne remettait pas en cause la nécessité de cette stratégie de traçage mais elle s’inquiétait du manque de garanties fournies en termes de protection de la vie privée dans la mise en place de ce projet.

Conservation des données

La Cour a malheureusement rejeté une partie des critiques formulées par la Ligue des droits humains : elle estime par exemple qu’il était nécessaire de collecter certaines données, comme le NISS, le numéro d’identification à la sécurité sociale. Selon la LDH et plusieurs analystes, la collecte de cette donnée personnelle est superflue, et donc illégale, pour permettre d’atteindre l’objectif poursuivi, à savoir l’identification d’un individu. La Cour n’est pas du même avis.

Dans le même temps, la Cour rappelle que, pour que le tracing soit conforme à la Constitution, il faut fixer un délai maximal de conservation des données à caractère personnel (ce qui n’était pas le cas pour l’une des bases de données créées par cet accord de coopération). Elle fournit également plusieurs interprétations primordiales dans le cadre de ce tracing, comme l’obligation du secret professionnel pour les agents travaillant dans les centres de contact. Elle limite aussi les prérogatives des collaborateur·rices de terrain des centres de contact, qui font du porte-à-porte pour sensibiliser les personnes présumées infectées aux mesures d’hygiène et de quarantaine. Dans son arrêt, la Cour rappelle que ces visites doivent être subsidiaires et exclut toute forme de contrainte.

Enfin, la Cour annule la possibilité pour le Comité de sécurité de l’information, le « gestionnaire des données de santé », de communiquer ces données personnelles à des tiers à des fins de recherche scientifique. La Cour souligne en effet que les décisions de ce Comité, contraignantes, ne sont pas soumises au contrôle du Parlement. Elle annule donc l’habilitation du CSI de transmettre ces données à des tiers.

La loi sur la sécurité civile de 2007

La deuxième décision de la Cour constitutionnelle concerne la loi sur la sécurité civile de 2007 qu’elle juge constitutionnelle. En d’autres mots, la ministre de l’Intérieur avait le droit, selon la Cour, de prendre les mesures sanitaires restreignant fortement les droits fondamentaux (interdiction de rassemblement, de manifester, couvre-feux, etc.) sur la base de la loi sur la sécurité civile de 2007. Toutefois, la Cour a choisi de ne pas trancher une série de questions fondamentales (comme celles concernant des mesures concrètes, par exemple celle liées aux limitations des contacts humains, etc.): il reviendra maintenant au Conseil d’Etat de se prononcer, une procédure initiée par la LDH étant toujours pendante devant cette juridiction.

La Cour établit également qu’il est conforme à la Constitution d’avoir recours à des sanctions pénales dans ce contexte. La Ligue des droits humains déplore cette décision mais note avec satisfaction un autre point de cet arrêt: la Cour considère qu’il n’était pas justifié d’interdire au juge de tenir compte de circonstances atténuantes lorsqu’il statue sur les infractions à ces mesures. Cela permettra aux juges d’évaluer chaque situation individuelle dans toute sa complexité et, le cas échéant, de retenir des circonstances atténuantes pour les personnes qui n’auraient pas respecté les règles de confinement, pour une raison ou une autre. Ce faisant, la Cour tempère l’application rigoriste qui a été faite de cette loi de 2007 dans le cadre de la lutte contre la pandémie.

La Ligue des droits humains prend acte de ces deux décisions et, si elle déplore de ne pas avoir été suivie sur différentes questions importantes qu’elle avait avancées, elle se réjouit que la Cour ait rappelé aux autorités politiques quelques principes essentiels lorsqu’elles limitent les libertés fondamentales. Espérons que celles-ci s’en souviendront à l’avenir et n’auront recours à de telles mesures qu’avec la plus grande prudence. Et, surtout, qu’elles tireront les leçons de cette séquence en permettant à l’avenir un véritable débat démocratique sur ces questions.