Bruxelles, le 8 octobre 2024
La LDH saisit la Cour constitutionnelle pour faire annuler plusieurs dispositions du nouveau Code pénal qui doit entrer en vigueur en avril 2026. En février dernier, le Parlement a approuvé la réforme du livre 1er (qui établit les principes généraux du droit pénal et dresse la liste des peines principales) et du livre II du Code pénal (qui prévoit les différentes incriminations). Selon la LDH, cette réforme était nécessaire – elle constitue la première révision majeure depuis 1867 – et représente un travail colossal, mais elle inclut plusieurs dispositions qui paraissent contraires aux droits humains.
Les dispositions attaquées par la LDH dans le livre 1er sont celles relatives à la récidive et à la peine de traitement sous privation de liberté.
Concernant le mécanisme de la récidive, il implique d’infliger une nouvelle peine de prison à des individus qui en ont déjà subie une et pour lesquels l’objectif assigné à la peine la première fois n’a manifestement pas été atteint. La réforme du Code pénal alourdit la récidive – il sera plus facile d’être en récidive sous le nouveau texte – par rapport à l’ancien Code. Selon la Ligue des droits humains, cette disposition va donc à contre-courant de l’un des objectifs de cette réforme du Code pénal qui considère – enfin – la prison comme une peine de dernier ressort. Rajouter de la prison à la prison n’a aucun sens, politiquement, juridiquement et criminologiquement.
La peine de traitement sous privation de liberté consiste en une nouvelle peine qui vise à imposer un traitement. En cas de refus, il y a alors privation de liberté. Cette peine se distingue de l’internement en ce qu’elle a une durée déterminée (entre six mois et vingt ans). Elle concerne tant des personnes souffrant d’un trouble mental ayant pour conséquence que leur responsabilité est atténuée que des personnes souffrant de divers troubles psychiques ou médicaux. Si ce traitement imposé peut répondre à un besoin, il risque selon la Ligue des droits humains d’entraîner plus facilement la privation de liberté. En outre, la question de faire du traitement « une peine » soulève des questions, en ce qu’il s’agit d’injonctions thérapeutiques imposées, ce qui s’avère contraire tant à la loi sur les droits du patient qu’à la déontologie médicale. Il serait préférable de développer avant tout l’offre de soins hors de la justice pénale et non pas d’étendre le filet carcéral.
La Ligue des droits humains saisit également la Cour constitutionnelle concernant des dispositions problématiques contenues dans le Livre II du Code pénal, pour de nouvelles infractions qui constituent des ingérences au droit à la liberté d’expression.
C’est le cas par exemple de l’atteinte méchante à l’autorité de l’Etat, nouvelle infraction introduite dans le code pénal que la coalition « droit de protester » (dont sont notamment membres les trois syndicats – FGTB, CSC et CGSLB – Greenpeace, Amnesty International Belgique, la Liga voor mensenrechten et la Ligue des droits humains) tente de faire annuler.
Par ailleurs, la LDH rejointe pour ce recours par l’Association des Journalistes Professionnels (AJP) et la Vlaamse Vereniging van Journalisten (VVJ), critique également l’élargissement de la notion de divulgation et de réception de secrets d’Etat dans le code pénal et l’imprécision de ces termes, comme l’avait déjà épinglé le Conseil d’Etat, dans un avis du 23 novembre 2018, et l’Institut Fédéral pour les Droits Humains (IFDH), dans un avis du 5 octobre 2023. Cette disposition est particulièrement inquiétante puisqu’elle est définie de manière très large, le législateur évoquant des “objets, plans, documents ou renseignements qui doivent être tenus secrets vu que leur divulgation est de nature à compromettre la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel, la sûreté de l’Etat, la défense du territoire, les relations internationales, le potentiel économique ou scientifique du pays, la sécurité des Belges à l’étranger ou le fonctionnement des organes décisionnels de l’Etat”. Plusieurs affaires révélées par la presse ces dernières années – PFAS, l’affaire Nethys, celle du Parlement wallon ou par les ONG comme les ventes d’armes à l’Arabie saoudite – pourraient tomber sous le coup de ces dispositions qui sont par ailleurs assorties de peines très lourdes (de 3 à 10 ans d’enfermement en fonction des circonstances).
Enfin, la Ligue des droits humains a également introduit un recours contre l’apologie du terrorisme, cette incrimination pénalise un large éventail de comportements, y compris ceux qui ne constituent pas nécessairement une incitation à la violence. Dans son avis, l’IFDH souligne “qu’en l’absence de critères stricts et objectifs permettant de déterminer ce qui constitue une véritable apologie du terrorisme, celle-ci pourrait être utilisées abusivement pour poursuivre des formes légitimes d’expression politique, tels des appels à la désobéissance civile, des actions militantes contre des biens ou encore la dénonciation d’agissements des autorités publiques ».
Si la nécessité de la réforme du Code pénal n’est pas contestée, certaines dispositions comportent des risques non négligeables pour les droits fondamentaux, raison pour laquelle les ONG, dont la Ligue des droits humains, ont demandé à la Cour constitutionnelle de se prononcer sur leur validité. Dans l’objectif de sauvegarder un écosystème démocratique fort et d’éviter une surpénalisation bien dans l’air du temps mais totalement contre productive.