Droits fondamentaux : le Comité T esquisse le bilan de 20 années de lutte contre le terrorisme

Le Comité T (Comité de vigilance en matière de lutte contre le terrorisme) a présenté son rapport annuel ce vendredi 18 mars 2022 au Sénat. 20 ans après les attentats du 11 septembre et 5 ans après ceux de Bruxelles, ce rapport analyse les changements législatifs et de politique publique amorcés dans la lutte contre le terrorisme et leurs impacts sur les droits humains. Deux grandes questions ont été épinglées lors de la présentation du rapport : la réforme controversée de l’obligation de conservation généralisée des métadonnées et les projets autour de l’article 141bis du Code pénal, clause de primauté du droit international sur le droit national.

Les crises sanitaire et climatique ont peut-être donné l’impression que la lutte contre le terrorisme ne figurait plus au rang des priorités des autorités. Pourtant, les questions sécuritaires se posent encore avec acuité ; les procès des attentats de Paris, en cours en France, puis ceux de Bruxelles, prévus à l’automne prochain, le rappellent douloureusement. Loin de remettre en question la légitimité de la lutte contre le terrorisme, le Comité T, composé d’acteur·rice·s de la société civile, s’interroge sur certains mécanismes mis en place pour la servir.

Data retention

C’est par exemple le cas de la réforme qui touche à l’obligation de conservation généralisée des métadonnées, aussi appelée « data retention ». Cette mesure consiste en la collecte et le stockage systématique et a priori de l’ensemble des métadonnées traitées et générées lors d’une communication électronique, à l’exception du contenu de celle-ci. Ce texte a fait l’objet de plusieurs décisions de justice qui établissent que cette mesure constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée. « La loi sur la conservation des données donne aux citoyen·ne·s le sentiment qu’ils sont en permanence sous le contrôle du gouvernement, ce qui est préjudiciable dans une société démocratique », a déclaré Raf Jespers, avocat et membre de la Liga voor Mensenrechten.

Pour « réparer » les illégalités de cette mesure, le gouvernement fédéral planche actuellement sur une réforme. Mais selon les échos recueillis par le Comité T, le travail en cours manque sa cible et risque même de créer d’autres points problématiques en s’attaquant au cryptage de messageries, pourtant utiles dans une démocratie. « Nous ne sommes pas demandeurs d’un décryptage généralisé de toutes les communications », a répondu Eric Snoeck, directeur général de la Police judiciaire fédérale. « Mais il faut pouvoir imposer aux opérateurs téléphoniques cette possibilité de décrypter au moment voulu ». La Ligue des droits humains s’inquiète de cette possibilité qui fait courir un risque aux journalistes, avocat·e·s, défenseurs·seuses des droits humains, etc.

L’article 141bis du Code pénal, fenêtre sur le droit international humanitaire

Une autre des problématiques soulevées dans ce rapport concerne le projet de modifier, voire d’abroger l’article 141bis du Code pénal. Cet article exclut du champ d’application des législations antiterroristes une série d’actes posés dans le cadre d’un conflit armé : c’est alors le droit international humanitaire qui s’applique. Après analyse, le Comité T s’oppose à la modification de cet article. Le 141bis est nécessaire pour que les deux droits (national et international) évitent de se contredire.  « Il est aussi fondamental que les crimes les plus graves – crimes de guerre, de génocide et de crimes contre l’humanité – soient poursuivis en tant que tels et pas seulement sous couvert des lois terroristes, ceci pour rendre une vraie justice notamment aux victimes de ces crimes. Ainsi, l’article 141 bis, c’est la garantie de la poursuite effective des violations graves de droit international humanitaire, pour lutter contre l’impunité et pour un meilleur respect du droit des conflits armés », a déclaré Olivia Venet, présidente de la Ligue des droits humains.

Christiane Höhn, conseillère principale du coordinateur de la lutte contre le terrorisme pour l’Union européenne, a quant à elle proposé un point de vue européen sur ce mécanisme. Elle a souligné l’existence en Europe de poursuites cumulées sous l’angle des infractions terroristes en droit pénal et sous l’angle des violations graves de droit international humanitaire.

Droit des étrangers, droit de plainte, etc.

Le rapport annuel développe aussi d’autres thématiques qui suscitent des questionnements et inquiétudes dans le chef du Comité T, autour du financement du terrorisme, de l’utilisation du droit des étrangers comme dispositif pour lutter contre le terrorisme ou encore du droit de plainte pour les personnes détenues pour des raisons de terrorisme, etc. Tout au long de l’année, le Comité T maintient sa veille sur les atteintes aux droits fondamentaux dans le cadre de la lutte contre le terrorisme.

Le rapport du Comité T est disponible sur le site internet du Comité T : www.comitet.be.

Le 18 mars 2022