Bruxelles, le 1er juillet 2024
Les lignes ont-elles bougé, deux ans après la condamnation de la Belgique par la Cour européenne des droits de l’homme pour violation du droit à un procès équitable? En juin 2022, l’arrêt Boutaffala c. Belgique condamne la manière dont certains tribunaux et cours accordent un poids prépondérant à la parole policière dans les procédures impliquant des violences de la part des forces de l’ordre. Depuis, l’État belge soutient avoir pris des mesures pour corriger le tir et demande au Conseil de l’Europe de clôturer le suivi d’exécution de cet arrêt. Pour la Ligue des droits humains, les mesures énoncées par l’Etat belge sont insignifiantes: sur le terrain, peu de choses semblent avoir changé.
L’État belge l’assure : il a pris la mesure de l’arrêt Boutaffala, du nom de ce directeur d’AMO bruxellois, Khaled Boutaffala, qui avait subi des violences policières en 2009. En représailles, Khaled avait été poursuivi pour rébellion par les policiers impliqués dans l’affaire. L’État belge affirme donc en avoir a tiré les conclusions dans son bilan d’action envoyé en octobre 2023 au Comité des ministres du Conseil de l’Europe. Cet organe est composé des ministres des Affaires étrangères des 46 États membres du Conseil et chargé de surveiller si les États exécutent les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme. Si l’on en croit la Belgique, ce comité peut désormais clôturer le dossier qui concerne l’arrêt Boutaffala.
Son bilan d’action pour exécuter cet arrêt? Il énonce une mesure générale, qui tient elle-même en une seule phrase: « L’arrêt Boutaffala a été diffusé, notamment auprès du Parquet de la Cour d’appel de Bruxelles ainsi que du Parquet de Cassation”. L’État belge ajoute que des conclusions ont été tirées en interne. Sans plus de détails.
Sur le terrain, pas de changements de pratiques
Pour la Ligue des droits humains, l’État belge n’a pas pris la mesure du signal fort envoyé par la Cour européenne des droits de l’homme. Cette mesure énoncée dans son bilan d’action est nettement insuffisante pour amorcer des changements de pratiques dans les juridictions du pays.
Aujourd’hui encore, deux ans après cette condamnation, la Ligue des droits humains constate que la justice semble continuer à accorder un poids plus important à la parole policière dans les dossiers qui les concernent. Pour l’étayer, la LDH s’appuie sur l’analyse de trois affaires récentes, jugées en 2023 et 2024. Dans ces dossiers dits de “rébellion”, des personnes ont été condamnées par la justice principalement sur base des témoignages de policier·ères alors qu’iels étaient impliqué·es dans les faits. L’arrêt Boutaffala est pourtant clair: il ne faut pas accorder un poids disproportionné à la parole policière dans le cadre des procédures impliquant les forces de l’ordre. Concrètement, lorsque les faits à la base des chefs d’inculpation sont contestés par la personne poursuivie, et que les seuls témoins de l’accusation sont les policiers impliqués, les tribunaux doivent utiliser toute possibilité raisonnable pour vérifier les déclarations à charge faites par ces policiers.
Des mesures plus fortes pour corriger le tir
Selon la Ligue des droits humains, les lignes rouges tracées par l’arrêt Boutaffala ne sont donc pas suffisamment prises en compte par les juridictions du pays. Elle invite par conséquent le Comité des ministres du Conseil de l’Europe à ne pas clôturer le suivi d’exécution de cet arrêt. La LDH propose des mesures fortes pour que l’arrêt Boutaffala ait un effet sur le terrain: elle appelle l’État belge à diffuser de façon plus large cet arrêt, à en intégrer les enseignements dans la formation des magistrat·es, à assurer la jonction de dossiers dans le cas où des personnes poursuivies pour rébellion (ou autres faits similaires) déposent plainte pour violences policières. La Ligue appelle enfin à supprimer du Code pénal les dispositions pénalisant la rébellion, les actes qui la constituent étant visés par d’autres incriminations. Le document envoyé au Comité des ministres du Conseil de l’Europe est consultable ici.
Pour éviter de nouvelles condamnations de l’État, il faudra bien plus que l’envoi d’un courrier au parquet. Il est temps que les autorités compétentes tirent les véritables leçons de l’arrêt Boutaffala et protègent effectivement la population contre ces pratiques inacceptables.