Des armes wallonnes risquent toujours d’alimenter des violations des droits humains

Bruxelles, le 27 juin 2024

Ce jeudi, alors que se négocie une nouvelle majorité gouvernementale wallonne, Amnesty International, la Coordination nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie, la Ligue des Droits Humains et Vredesactie rendent publique la 7e édition du rapport de l’Observatoire des armes wallonnes. Ce document, qui porte sur une période s’étalant de juillet 2023 à juillet 2024, met notamment en évidence de graves manquements en ce qui concerne les exportations d’armes wallonnes, qui continuent à être transférées vers des pays où elles risquent de servir à commettre des violations des droits humains et du droit humanitaire international.

« Alors que nous n’avons de cesse de tirer la sonnette d’alarme depuis plusieurs années, force est de constater que les autorités wallonnes n’ont rien fait pour améliorer le respect qu’elles portent à leur propre décret, qui est censé empêcher les exportations d’armes qui pourraient alimenter des crimes de guerre ou des violations des droits humains. Au cours des 12 derniers mois, sur tous les continents ou presque, on a pu constater que des armes wallonnes sont parvenues dans des mains qui n’auraient jamais dû s’en saisir, et ce, en raison de l’irresponsabilité des autorités régionales », déplorent les organisations.

Des transferts d’armes irresponsables

Parmi les nombreux éléments mis en exergue dans le rapport figure la fourniture par la FN Herstal de mitrailleuses équipant des hélicoptères et des avions achetés par l’armée nigériane, alors même que cette dernière est responsable de nombreuses attaques ayant coûté la vie à des dizaines de civils. Autre cas interpellant : la présence de fusils d’assaut de la FN Herstal dans les mains de policiers militaires de l’État de São Paulo, au Brésil, alors qu’ils menaient en juillet 2023 une opération au cours de laquelle 30 personnes ont été tuées.

« Le risque que ces armes soient utilisées contre des civils est plus qu’évident. Les exactions imputables à l’armée nigériane et les pratiques de la police militaire de l’État de São Paulo sont connues depuis des années ; jamais le gouvernement wallon n’aurait dû donner son assentiment à de tels transferts. Malheureusement, la liste des exportations problématiques ne s’arrête pas là », insistent les organisations.

L’exportation par la Wallonie en novembre dernier de 16 tonnes de poudre explosive vers Israël, alors même que l’armée de ce pays bombardait la bande de Gaza depuis cinquante jours, constitue un exemple particulièrement choquant. Il aura par ailleurs fallu attendre le 5 février, des révélations dans les médias et une ordonnance rendue par la Cour internationale de justice faisant état d’un risque de génocide pour que soit annoncée la suspension temporaire de deux licences d’exportation de poudre à destination d’Israël.

Opacité et lacunes du cadre réglementaire

Parallèlement aux exportations d’armes wallonnes stricto sensu, le rapport revient également sur la question du transit d’armes, plus particulièrement sur la récente mise au jour du transit de tonnes de matériel militaire à destination d’Israël par l’aéroport de Liège. Ce scandale a notamment permis de mettre en exergue les sérieuses lacunes qui caractérisent le cadre wallon en matière de transit d’armes et auxquelles il importe de répondre structurellement.

« Ces quelques exemples illustrent non seulement une irresponsabilité dans la prise de décisions sur les transferts et le transit d’armes, mais aussi l’opacité qui caractérise les pratiques wallonnes. Ainsi, dans le cas des mitrailleuses qui équipent l’armée nigériane, cette information n’apparaît pas dans le rapport annuel publié par le Ministre-Président sur les exportations d’armes qu’il a autorisées. Ce rapport se borne en effet à mentionner l’octroi de licences à destination des États-Unis, parce qu’il s’agit du pays où les armes ont été exportées pour y être montées sur des avions et des hélicoptères ensuite exportés au Nigéria, précisent les organisations. À côté des informations que la société civile parvient à obtenir, combien restent sous les radars et ne donnent lieu à aucune reddition de comptes de la part des autorités wallonnes, malgré leur écrasante responsabilité ? »

Alors qu’une nouvelle majorité gouvernementale wallonne est actuellement en négociation à Namur, AI, la CNAPD, la LDH et Vredesactie insistent pour que, au cours de la prochaine législature, la priorité soit donnée aux droits humains en ce qui concerne les transferts et le transit d’armes et que des avancées décisives soient enregistrées dans ce domaine.

Le prochain gouvernement wallon doit faire mieux

Les organisations appellent le prochain gouvernement wallon à veiller à n’octroyer des licences d’exportation d’armes qu’à destination de pays dont les autorités ne commettent pas de violations graves du droit international des droits humains et du droit international humanitaire, conformément aux engagements internationaux s’appliquant à la Wallonie et au décret wallon relatif à l’importation, à l’exportation, au transit et au transfert d’armes civiles et de produits liés à la défense. Il sera nécessaire par ailleurs d’appliquer un principe de précaution consistant à suspendre les transferts d’armes vers tous les pays où ces armes pourraient servir à commettre de telles violations.

Il est également essentiel que le gouvernement assure une plus grande transparence concernant les exportations d’armes qu’il autorise, et ce, afin de permettre un meilleur contrôle par le Parlement et la société civile. Pour ce faire, une publication plus fréquente des rapports du gouvernement est nécessaire, ces documents devant en outre comporter des informations précises sur la nature des exportations autorisées et sur le destinataire final des armes exportées, ainsi que sur les renouvellements de licences octroyées précédemment.

« Sur ce dernier point, la Région flamande démontre qu’il est possible de faire mieux en publiant des rapports mensuels nettement plus détaillés et dans des délais beaucoup plus courts. Idem en ce qui concerne le transit d’armes : le cadre législatif est plus exigeant en Flandre, et davantage conforme au Traité sur le commerce des armes que la Belgique a signé et ratifié. Le prochain gouvernement wallon devra donc faire au moins aussi bien en adaptant son cadre législatif de manière à empêcher le transit via la Wallonie d’armes pouvant servir à commettre des violations graves du droit international humanitaire ou du droit international des droits humains », expliquent les organisations.

Enfin, Amnesty International, la Coordination nationale d’Action pour la Paix et la Démocratie, la Ligue des Droits Humains et Vredesactie demandent que la composition de la Commission d’avis sur les licences d’exportations d’armes soit modifiée de manière à assurer son indépendance. À l’heure actuelle, de par les fonctions qu’occupent par ailleurs certain·es membres de la Commission d’avis, il est en effet impossible de garantir leur indépendance vis-à-vis des autorités wallonnes.

« Le nouveau gouvernement wallon qui entrera bientôt en fonction, quelle que soit sa composition, dispose d’une occasion réelle d’opérer une rupture avec les mauvaises pratiques du passé. À l’heure où de terribles conflits déchirent de nombreux endroits sur la planète et où les droits humains subissent de plus en plus d’assauts, il est du devoir de la Wallonie de se montrer à la hauteur de ses valeurs en respectant réellement les normes qu’elle s’est elle-même édictées et en montrant l’exemple aux autres gouvernements, notamment européens, par une conduite irréprochable en matière de respect des droits fondamentaux », concluent les organisations.