Cour Constitutionnelle: vers l’annulation de l’ordonnance Bruxelles Numérique?

Bruxelles, le 24 septembre 2024

Vingt-quatre acteurs de la société civile bruxelloise – associations, coupoles et syndicats – se sont associés pour introduire, le 19 août 2024, une requête en annulation à l’encontre de l’ordonnance «Bruxelles numérique » devant la Cour constitutionnelle.

CONTEXTE

Au cours de la dernière législature, la société civile bruxelloise s’est mobilisée contre un projet d’ordonnance porté par Bernard Clerfayt, visant à rendre les administrations communales et régionales intégralement disponibles en ligne. Pendant un an et demi, citoyens, associations et syndicats ont exigé, par le biais de multiples actions collectives, plus de contacts humains dans les services essentiels. Il s’agit d’une revendication capitale pour la population étant donné que 40% des Belges et 70% des Bruxellois peu qualifiés sont en situation de vulnérabilité numérique. Mais en dépit de la mobilisation, l’ordonnance «Bruxelles numérique» a été promulguée en février dernier, sans la garantie claire de guichets physiques et de services téléphoniques pour accéder aux services publics.

ACTEURS

Dans ce contexte, 24 organisations actives à Bruxelles – notamment dans les secteurs de l’alphabétisation, de la santé, des droits humains, du handicap, de la lutte contre la pauvreté ou encore du soutien aux seniors – ont décidé de continuer à agir, cette fois devant une juridiction. Seize associations et syndicats, Altéo asbl, ATD – Quart Monde asbl, Brussels Platform Armoede vzw, CAWAB asbl, CIEP Bxl asbl, CIRE asbl, CSC Bruxelles, Énéo asbl – Régionale de Bruxelles, Fédération des Maisons Médicales asbl, Fédération des Services Sociaux asbl, FGTB, Hobo vzw, Liages asbl, Ligue des Droits Humains, Lire & Ecrire Bxl, Maks vzw ont déposé une requête en annulation le 19 août 2024 devant la Cour constitutionnelle. Ces institutions ont pris comme défenseur Marc Verdussen, spécialisé en droit constitutionnel, du cabinet Altea.

Elles sont soutenues dans leur démarche par huit autres associations: Ara vzw, Bij Ons / Chez Nous vzw/asbl, Buurthuis Bonnevie Maison de Quartier vzw/asbl, De Buurtwinkel vzw, DoucheFlux asbl, Pigment asbl, Syndicat des Immenses, Vrienden van het Huizeke vzw.

MOYENS

La requête ne vise pas à annuler toute l’ordonnance organisant la numérisation des services publics mais
uniquement les aspects problématiques du texte contenus dans deux phrases de son article 13. Il s’agit de formules susceptibles de ne pas garantir des guichets, des téléphones et des courriers postaux dans les administrations et donc l’accès aux droits des personnes vulnérabilisées par le tout numérique.

L’argumentaire déployé dans la requête est le suivant. L’article 13 de l’ordonnance Bxl numérique énonce que les garanties minimales pour accéder aux services publics sont le guichet, le service téléphonique et le courrier postal. Mais cet article prévoit également deux possibilités qui remettent en question ces garanties minimales d’accessibilité. Premièrement, il explique que les administrations peuvent mettre en place des alternatives aux trois garanties minimales d’accessibilité précitées. Deuxièmement, il indique que les administrations peuvent ne pas mettre en place ces garanties minimales d’accessibilité si elles jugent que c’est une charge disproportionnée. Par ces deux biais, l’article 13 ne garantit donc pas l’accès des services communaux et régionaux aux Bruxellois en situation de vulnérabilité numérique et qui ont donc besoin de contacts humains avec les administrations pour faire valoir leurs droits.

Nombre de citoyens peuvent ainsi voir des droits essentiels mis à mal. Plus précisément, formulé de la sorte, l’article 13 pose trois problèmes constitutionnels. Premièrement, les citoyens qui ont des difficultés avec le numérique sont discriminés par rapport aux autres usagers dans leur accès aux services publics. Deuxièmement, ils se voient retirer l’accès à des services vitaux permettant d’accéder aux droits fondamentaux économiques, sociaux et culturels. Troisièmement, il faut souligner le fait que ce problème d’accès aux droits touche notamment les personnes qui sont vulnérabilisées par le numérique en raison d’un handicap.

Au final, la requête déposée par les requérants peut être résumée comme suit. Afin qu’elle ne vulnérabilise pas de nombreux citoyens, l’ordonnance Bxl numérique doit offrir des garanties minimales d’accès aux administrations. A cette fin, il est demandé à la Cour constitutionnelle d’annuler dans l’article 13 du texte d’une part, la possibilité d’alternatives aux guichets, aux services téléphoniques et aux courriers postaux pour accéder aux services publics et d’autre part, la charge disproportionnée dont peuvent se prévaloir les administrations pour ne pas mettre en place ces garanties minimales d’accessibilité.

FINS

Cette action devant une juridiction a des visées sociales et politiques importantes. Au travers de cette démarche, associations et syndicats poursuivent leur campagne « l’humain d’abord », qui insiste sur la nécessaire primauté de l’accueil physique (et non numérique) dans les services essentiels. C’est un impératif pour que tous les Bruxellois accèdent effectivement à leurs droits. Ces associations montrent qu’elles sont déterminées à continuer le combat. Elles agissent en faveur de celles et ceux que l’avènement de la société numérique vulnérabilise, en les empêchant d’accéder à leurs droits.

Elles adressent également un message fort aux autorités bruxelloises, en leur demandant d’une part, d’intégrer dans la déclaration gouvernementale la nécessité d’un contact humain entre les administrations et les administrés et d’autre part, de modifier l’ordonnance Bruxelles numérique afin qu’elle garantisse sans ambiguïté les guichets physiques et les services téléphoniques dans les services publics.

Nul doute que la société civile continuera à se mobiliser dans ce dossier, à faire vivre un large débat démocratique sur la place du numérique dans la société et à interpeller les différents niveaux de pouvoir en vue d’une amélioration de l’accessibilité des services essentiels.