[Carte blanche] Les mesures de l’Arizona pour lutter contre la surpopulation carcérale : un naufrage à éviter !

Une carte blanche rédigée par Olivia Nederlandt (UCLouvain) et Aurore Vanliefde (KU Leuven), portée par plus de 500 signataires représentant 25 associations dont la Ligue des droits humains (*)

Nous, en tant que personnes détenues, ex-détenues, et leurs proches, en tant que personnes travaillant avec des personnes détenues, ex-détenues, et leurs proches, en tant que chercheurs ou chercheuses en sciences sociales, en tant qu’êtres humains, sommes profondément interpellés par les mesures envisagées par l’Arizona pour « lutter contre la surpopulation carcérale ».

Il est en effet urgent d’agir : la surpopulation carcérale a des conséquences désastreuses tant pour les personnes détenues que leurs proches, et pour le personnel qui travaille en prison ou plus globalement, dans la justice pénale. Mais le cœur du problème n’est pas la « surpopulation », qui n’est que la pointe de l’iceberg, c’est l’inflation carcérale (le recours toujours plus important à la prison). Le taux d’enfermement n’a jamais été aussi haut en Belgique : plus de douze mille personnes détenues !

L’Arizona propose, entre autres, de construire toujours plus de prisons, notamment des prisons-ghettos, dans des containers, sur l’eau (bateaux-prisons), voire à l’étranger ; et de rendre encore plus difficile l’accès à la libération conditionnelle (permettant aux personnes détenues de purger la fin de leur peine dans la société, en bénéficiant de l’aide d’un assistant de justice et tout en étant contrôlé et ce, pour faciliter leur réinsertion et éviter la récidive). Ces mesures sont pourtant tout à fait contre-productives.

Réalité complexe

Tous les experts le disent et le répètent : construire de nouvelles prisons n’a jamais été la solution, au contraire. L’État belge fait partie du Conseil de l’Europe, qui a adopté diverses recommandations en matière de lutte contre la surpopulation carcérale insistant sur le fait qu’étendre le parc carcéral n’est pas la voie à suivre. Chaque fois qu’on a construit une nouvelle prison, on l’a remplie.

Si le discours véhiculé est celui d’une criminalité en hausse, qui expliquerait une population carcérale en augmentation et un besoin supplémentaire de places en prison, la réalité est bien plus complexe. Les statistiques policières ne permettent pas d’établir une inflation de la criminalité enregistrée. Les statistiques démographiques ne justifient pas non plus une telle augmentation de la population en prison. Les causes de l’inflation carcérale sont multifactorielles, mais elles résident d’abord, et surtout, dans le fait que la prison enferme majoritairement les personnes les plus défavorisées, marginalisées : « les pauvres, les étrangers et les malades mentaux ». Si le futur gouvernement souhaite véritablement diminuer le recours à la prison, il devra donc le faire via des mesures sociales. Les acteurs de la justice pénale doivent également ne recourir à la prison que comme « ultime recours » – car aujourd’hui, la prison continue à être perçue comme « la seule vraie peine ».

Résoudre les problèmes

Certes, la prison « éloigne » certains individus de la société libre pour un certain temps, mais ça se limite à cela. Elle ne permet aucunement de résoudre les problèmes qui ont conduit les personnes en prison (parcours de vie cabossés, exclusion sociale, pauvreté, troubles mentaux ou problématiques d’assuétudes à l’alcool, aux stupéfiants ou aux médicaments…), au contraire, elle renforce ces problèmes (la prison appauvrit et renforce l’exclusion, elle ne permet pas ou que très peu une prise en charge de la santé physique et mentale…). Les victimes n’y trouvent pas non plus leur compte : en prison, les personnes détenues sont dans une telle situation qu’elles ne sont généralement pas en mesure d’entamer des démarches restauratrices. La libération conditionnelle, elle, au contraire, devrait être favorisée, car elle permet d’accompagner les personnes dans leur retour à la société tout en mettant en place des mesures visant à éviter la récidive, et dans le cadre d’une procédure où les victimes peuvent être entendues.

Les politiques jettent de la poudre aux yeux du grand public quand ils prétendent appréhender le problème de la récidive en enfermant toujours plus de personnes et à chaque fois pour plus longtemps.

La prison est donc inefficace et en outre, elle coûte cher, très cher, très très cher. Il y a bien sûr les coûts « sociaux » de la prison. Les personnes détenues souffrent des mauvaises conditions de détention, mais aussi leurs proches, et tout le personnel qui travaille dans ces mauvaises conditions. Mais ce coût est aussi financier. Rappelons que c’est un tiers du budget et 40 % du personnel du Service Public Fédéral Justice qui sont consacrés à la Direction Générale des Établissements Pénitentiaires [1]. Le coût total prévu pour les neuf nouvelles prisons visées par des contrats de partenariats public-privé Design Build Finance Maintain reviendra, pour la durée des contrats (25 ans), à un coût total de 3,8 milliards d’euros [2]. Cet investissement ayant pour objectif de créer 3.874 nouvelles places en prison, cela revient à un budget de 980.898 euros la place. La nouvelle prison de Haren a coûté près d’1 milliard d’euros.

Mesures sociales

Les politiques disposent de ces informations. Ils jettent de la poudre aux yeux du grand public quand ils prétendent appréhender le problème de la récidive en enfermant toujours plus de personnes et à chaque fois pour plus longtemps. Est-ce vraiment la société dont nous voulons ?

Oui il existe des mesures qui permettent de vider les prisons : outre une politique pénale réductionniste évitant au maximum le recours à la prison, c’est avant tout des mesures sociales qui doivent être prises : avec plus d’aides sociales, vous sortez de prison les sans-abri qui tombent dans la délinquance pour survivre, avec des soins de santé renforcés et plus accessibles et des dispositifs pour accueillir les personnes souffrant d’assuétudes, vous sortez aussi ces personnes de prison, en cessant de retirer leurs titres de séjour à des personnes qui ont toutes leurs attaches en Belgique, vous sortez ces personnes de prison.

C’est ce message que nous voulons vous faire passer. C’est pour cette raison que nous organisons ou participons aux « journées nationales de la prison » (14 au 24 novembre 2024 – https://jnpndg.be) : des journées durant lesquelles de nombreux événements sont organisés partout en Belgique pour informer le grand public sur les réalités carcérales et sur les populations qui sont enfermées en notre nom à tous et à toutes. Rejoignez nous.

⇒ [1] Voyez pour 2020, 30 % du budget justice est consacré aux prisons (soit 666 millions d’euros, le budget total étant de 1.999 millions d’euros): https://justice.belgium.be/fr/statistiques/moyens/budget_evolution_2016_2020.

⇒ [2] Cour des Comptes, Nouvelles prisons en partenariat public-privé – vers une meilleure maîtrise des contrats DBFM, juin 2023.

La liste des signataires