Face à l’explosion des détresses financières des jeunes, 19 organisations de la société civile appellent le gouvernement Degryse à avancer rapidement vers l’automatisation des allocations d’études, à assurer l’accès aux bourses d’études à l’enseignement de promotion sociale et à assurer un filet de sécurité étudiant face aux risques naissant des parcours allongés ; avant un plan d’action global incluant une réforme plus profonde des bourses d’études.
En 2024, différentes études scientifiques (ULB, UCLouvain Saint-Louis, OVE – France) ont apporté la confirmation de ce que tout le monde pressentait : la précarité étudiante affecte négativement la réussite des jeunes et allonge la durée de leur parcours. Tout le monde y perd : la Fédération Wallonie-Bruxelles financièrement bien sûr, les établissements et enseignants en qualité d’encadrement et de cadre de travail, mais en premier lieu, les jeunes dont beaucoup se sentent abandonnés, vivent les détresses, voire risquent la relégation ou l’exclusion, et leurs familles qui s’inquiètent et se privent.
Les difficultés financières des familles qui ont des jeunes aux études et les détresses qui en découlent défraient la chronique depuis des années, plus encore depuis la pandémie. Elles ont d’ailleurs suscité l’engagement de l’ensemble des partis politiques représentés au Parlement. En 2021, une résolution interparlementaire cosignée par l’ensemble des partis appelait à une action concertée des gouvernements régional et communautaire. A l’heure actuelle cependant, son opérationnalisation reste parcellaire. En particulier, une réforme des allocations d’études avait été envisagée par la ministre Glatigny sous le dernier gouvernement, dont les orientations projetées avaient été largement soutenues par la société civile, à la condition d’une méthodologie affinée et rigoureuse pour estimer les coûts d’études. Elle n’avait pourtant finalement pas abouti.
Parer aux urgences avant un investissement d’ampleur contre la précarité
Nous appelons le gouvernement Degryse à inscrire la lutte contre la précarité étudiante parmi ses priorités politiques. Lutter contre la précarité est un investissement budgétaire, et une action sur le temps long. Sur base de la résolution interparlementaire, il s’agira de construire un plan pluriannuel d’investissement dans la lutte contre la précarité étudiante, budgété et impliquant chaque ministre compétent dans sa réalisation. Logement, Action sociale dont droit à l’alimentation, Santé, Culture et bien sûr Enseignement supérieur : à la Fédération comme au Fédéral et aux Régions, toutes les compétences doivent être mobilisées pour cesser la politique du sparadrap et donner à nos générations futures les conditions de leur préparation à devenir les citoyens et travailleurs de demain.
D’ici là, les détresses des jeunes ne pourraient être laissées sans réponse immédiate. Or, tout insuffisants qu’ils soient pour faire face immédiatement à l’ensemble des situations, des moyens publics sont disponibles dès aujourd’hui pour renforcer l’aide à apporter aux jeunes les plus précaires ! 6,4 millions d’euros avaient été provisionnés pour la réforme 2024, et ils ont été maintenus dans le budget 2025. Ces moyens budgétaires sont nettement insuffisants pour faire face à l’ampleur des difficultés des jeunes. Mais ils peuvent être activés pour parer aux urgences.
Automatiser et articuler les droits
Que ce soit dans le secondaire ou le supérieur, le fléau du non-recours aux droits existants (statut BIM, bourses d’études secondaires ou supérieures, gratuité des supports de cours, statut étudiant condition modeste, bourse provinciale éventuelle…), encore trop méconnus et difficiles d’accès, empêche les plus précaires d’entre eux en premier lieu de bénéficier d’un soutien auquel ils sont pourtant éligibles. Ce non-recours frappe en effet d’autant plus particulièrement que la précarité est forte. La première des priorités nous semble sans aucun doute de faire des pas significatifs vers une ambition importante affichée par le gouvernement Degryse dans sa déclaration politique : l’automatisation articulée des droits.
En ce qui concerne les bourses d’études en particulier, des étapes importantes en ce sens avaient été prévues sous l’ancien gouvernement. Elles faisaient consensus de la gauche à la droite de l’échiquier politique. Surtout, elles sont nécessaires face à la situation. Nous appelons le gouvernement Degryse à les implémenter.
L’enseignement de promotion sociale ne peut plus être exclu des allocations d’études
A l’occasion des négociations du budget 2025, le gouvernement Degryse a pris des décisions qui entraînent l’impossibilité pour des élèves majeurs – même encore jeunes, 18 ou 19 ans – d’achever leur parcours éducatif dans l’enseignement secondaire qualifiant. S’ils veulent achever leur parcours éducatif, ils devront se tourner vers des structures de formation régionales, ou dans l’enseignement de promotion sociale. Outre les craintes légitimes de tous ceux qui ne sont pas assurés de poursuivre une formation identique ou similaire à celle dans laquelle ils se sont engagés, s’ajoute une contrainte financière importante. Alors qu’il n’y avait pas de frais d’inscription en 7e secondaire, ces structures sont payantes. Et par ailleurs, les allocations d’études ne sont pas accessibles dans l’enseignement de promotion sociale / pour adultes, ce qui constituera un frein à la poursuite de la formation. En effet, exclus de l’enseignement secondaire, les élèves les plus précarisés et leurs familles seront, en l’état, également exclus des allocations d’études.
Nous appelons la ministre Glatigny à assurer le maintien de ces élèves dans leurs conditions financières initiales : absence de frais d’inscription et monitoring de leurs frais en cours d’année. Par ailleurs, la résolution interparlementaire visant à lutter contre la précarité étudiante et le Conseil supérieur des allocations d’études appellent tous deux à intégrer l’enseignement de promotion sociale dans le système des allocations d’études. Il est urgent de la mettre en place d’ici la rentrée scolaire et académique prochaine.
Un filet de sécurité étudiante dans le supérieur
Une action ne pourrait attendre non plus dans le supérieur où la précarité en explosion et l’intensification du travail étudiant articulées à l’application cette année pour la première fois des règles renforcées du décret dit « Paysage » mettent particulièrement en tension les étudiants. Précaires, ils doivent travailler plus ce qui allonge leurs parcours (1), mais sommés d’acquérir plus vite des crédits, ils risquent l’exclusion en septembre.
Nous appelons le gouvernement Degryse à assurer un filet de sécurité aux étudiants précaires qui risquent un couperet en cette fin d’année. Leur situation de précarité et la nécessité de travailler pour payer leurs études éloignent de nombreux étudiants d’une réussite rapide, mais sans pour autant l’empêcher. Il s’agit concrètement pour le gouvernement de se donner la capacité de monitorer les règles de finançabilité et de parcours étudiant. Cela implique de pouvoir anticiper dès l’année en cours les risques potentiels d’exclusions d’étudiants précaires de l’enseignement supérieur. Ce monitoring permettra au gouvernement de se donner la capacité, le cas échéant, de prévoir les adaptations nécessaires pour éviter que de la précarité découle le risque d’exclusions significatives d’étudiants pourtant sur un parcours de réussite.
La précarité étudiante doit d’autant plus pouvoir être combattue farouchement qu’elle freine la réussite. Personne ne devrait subir l’échec du fait de sa précarité.
*Signataires : Ligue des familles, Fédération des étudiant·e·s francophones, Fédération des Associations de Parents de l’Enseignement Officiel, Union Francophone des Associations de Parents de l’Enseignement Catholique, Comité des Elèves Francophones, Réseau wallon de lutte contre la pauvreté, Forum – Bruxelles contre les inégalités, Fédération des services sociaux, Fédération des CPAS wallons, Fédération des CPAS bruxellois, CSC Enseignement, CGSP Enseignement, SETCa SEL, SLFP Enseignement, APPEL – Association Professionnelle du Personnel de l’Enseignement Libre, Fédération Infor-Jeunes Wallonie-Bruxelles, Fédération des Centres d’Information et de Documentation pour Jeunes, SIEP – Service d’Information sur les Etudes et les Professions, Ligue des droits humains.
(1) L’accord Arizona, faisant passer le maximum d’heures de travail étudiant à 650, va renforcer cette tendance.
Cette carte blanche a été publiée dans Le Soir le 19 février 2025