Camps de réfugiés en Grèce : la Ligue des droits humains assigne l’État belge pour crimes contre l’humanité

Bruxelles, le 16 septembre 2022

La Ligue des droits humains attaque l’État belge en justice parce que celui-ci n’a pas respecté les quotas de relocalisation que l’Union européenne lui a imposés dès 2015. Ce manquement a contribué directement à la surpopulation des camps de demandeur·euses d’asile situés sur les îles grecques et notamment celui de Moria. En violant le droit européen, l’État belge a abandonné ces personnes dans des conditions de vie inhumaines et dégradantes. La Ligue estime que la Belgique s’est rendue responsable d’actes constituant des crimes contre l’humanité.

160.000 personnes à relocaliser

Les faits remontent à 2015 : l’Union européenne fait face à un afflux de personnes demandant une protection internationale, la guerre en Syrie a poussé des centaines de milliers de personnes sur les routes de l’exil. L’Italie et la Grèce sont en première ligne et, pour diminuer la pression sur ces deux portes d’entrée de l’Union européenne, deux décisions sont prises. D’une part, l’Union européenne suspend le règlement de Dublin (qui vise à déterminer quel État est responsable du traitement de la demande d’asile, le plus souvent le premier pays européen par lequel arrive la personne). D’autre part, l’Union impose des quotas de personnes à relocaliser dans les autres pays de l’Union. Les États membres s’engagent ainsi en mars 2016 à relocaliser au total 160.000 personnes ayant demandé une protection internationale.

En dessous de la moyenne européenne

Côté belge, ces engagements sont rapidement passés à la trappe. Selon le rapport de la Commission européenne, en septembre 2017, sur les 2.415 relocalisations imposées par l’Union européenne, la Belgique n’avait relocalisé que 677 personnes en provenance de Grèce. En éludant ses responsabilités, la Belgique a directement contribué à la surpopulation des camps sur les îles grecques et notamment celui de Moria. Or, notre pays ne pouvait ignorer les conditions dans lesquelles ces personnes y vivaient. Les ONG présentes sur le terrain, relayées dans les médias, ont abondamment documenté des conditions inhumaines et dégradantes. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en décembre 2018, plus de 12.500 personnes se trouvent dans les camps grecs (Lesbos, Chios, Samos, Leros et Kios) alors que la capacité d’accueil est de 6.500. En 2020, ce chiffre grimpe à plus de 19.000 personnes pour le seul camp de Moria. Surpopulation, températures glaciales, manque d’eau, de chauffage, de soins médicaux, mauvaise hygiène et malnutrition attisent les tensions dans les camps. Ces conditions portent atteinte à l’intégrité physique et psychique des demandeur·euses de protection internationale : des mutilations, suicides, et violences diverses y sont rapportés.

Crimes contre l’humanité

En tournant sciemment le dos à ces quotas imposés par l’Union européenne, l’État belge a violé le droit international et contribué au surpeuplement dans les camps grecs. Selon l’analyse de la Ligue des droits humains, il s’est rendu responsable d’actes constituant des crimes contre l’humanité, compte tenu du caractère généralisé et systématique de la soumission de dizaines de milliers de personnes à des conditions de vie inhumaines et dégradantes dans le camp, en toute connaissance de cause. Parmi les violations qui peuvent être qualifiées de crimes contre l’humanité, figurent, aux côtés du meurtre, du viol, de la torture, de l’extermination, etc. « ces autres actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé physique ou mentale ».  À Moria, le niveau de souffrance avait atteint un tel degré que des enfants tentaient de se suicider pour échapper à cet enfer. Enfer qualifié par le maire de Lesbos lui-même de “camp de concentration moderne, où toute dignité humaine est déniée”.

Droit d’asile et droit de l’accueil

Par cette action en responsabilité devant le tribunal de première instance de Bruxelles, la Ligue des droits humains entend rappeler à l’État belge qu’il ne peut se soustraire à ses engagements européens ni au droit international. Ni d’ailleurs à la justice belge, qui l’a condamné à plusieurs reprises à respecter le droit à l’accueil de centaines de personnes. Ici comme aux frontières de l’Union européenne, les obligations de la Belgique sont contraignantes. Le peu de scrupules qu’elle a à les contourner, au mépris de l’État de droit, nous inquiète au plus haut point. Nommer les choses telles qu’elles sont, des crimes contre l’humanité, et combattre l’impunité, est un pas crucial pour l’arrêt de ces pratiques.