Carte blanche parue dans Le Soir le 25 avril 2024 et dont la Ligue des droits humains est signataire.
La liberté d’expression est l’un des piliers de notre société démocratique. Elle a aussi ses limites : elle ne s‘applique pas à la diffusion de messages à caractère haineux.
L’article 150 de notre Constitution a été créé pour la protéger. Il prévoit que l’expression d’une opinion délictueuse via la presse (appelée « délit de presse ») soit jugée en cour d’assises, par un jury de citoyens. Mais dans les faits, cette procédure est longue et coûteuse. Comprenez : rarissime.
En 1999, l’article 150 a été modifié afin que les délits de presse inspirés par le racisme, la xénophobie ou le négationnisme puissent être poursuivis plus facilement, via les tribunaux correctionnels. L’intention était bonne. Mais après 1999, une loi antidiscrimination, une loi sur le genre et une loi sur le sexisme dans l’espace public sont venues s’ajouter à la loi antiracisme, protégeant désormais d’autres critères de discrimination comme la conviction religieuse ou philosophique, l’orientation sexuelle, le genre, l’identité de genre, l’expression de genre ou encore le handicap. Paradoxalement, les délits de presse à caractère haineux relevant de ces critères doivent, eux, toujours être jugés en cour d’assises.
Nous nous retrouvons donc dans des situations kafkaïennes où un tribunal correctionnel a condamné des prévenus pour des écrits racistes punissables, mais s’est déclaré incompétent pour statuer sur des écrits homophobes et transphobes punissables. Il est temps de mettre fin à cette différence de traitement injustifiable pour des situations identiques !
Les réseaux sociaux ont changé la donne
Une autre inégalité de traitement inadmissible subsiste : écrire « tous les gays doivent être pendus » (ou « les handicapés doivent être brûlés », « les musulmans doivent être chassés à coups de pied » ou encore « les femmes méritent d’être violées pour qu’elles restent à leur place »), par exemple sur les réseaux sociaux, est un délit de presse. Il devra être jugé par la cour d’assises. En pratique, il ne sera donc quasi jamais poursuivi, pour les raisons évoquées plus haut. Par contre, pour la diffusion d’une vidéo sur les réseaux sociaux avec le même message, c’est le tribunal correctionnel qui est compétent, avec des poursuites à la clé.
Avec l’avènement des médias sociaux, chaque citoyen a la possibilité de faire connaître son opinion, par écrit et publiquement. En 1999, ils n’existaient pas encore et le législateur ne pouvait pas envisager la rapidité de diffusion qu’ils allaient permettre. Désormais, les discours de haine pullulent sur les réseaux sociaux et ils contribuent à la polarisation de la société.
Renforcer la réglementation sans censurer les opinions
Plusieurs organisations de défense des droits humains réclament depuis des années une modification de la Constitution. Force est de constater que la réglementation actuelle ne permet pas toujours de prendre des mesures adéquates contre des délits flagrants. Et sans procès, les auteurs restent impunis et il n’y a pas de reconnaissance judiciaire des souffrances infligées à tout un groupe de victimes.
La Cour européenne des droits de l’Homme a souligné que les Etats membres ont le devoir de protéger les minorités contre l’incitation à la discrimination et à la violence. A défaut, ils violent la Convention européenne des droits de l’Homme. La Belgique a donc une responsabilité en tant qu’Etat de droit.
Il ne s’agit pas de sanctionner les opinions. Comme la Cour le prévoit, il est permis « de heurter, de choquer ou d’inquiéter ». Mais lorsqu’il s’agit d’inciter à la haine, à la violence, à la discrimination ou à la ségrégation, des mesures pénales doivent pouvoir être prises.
En bref, la révision et l’élargissement de l’article 150 de la Constitution s’imposent. C’est le moment ou jamais de l’ouvrir à la révision. Nous demandons au gouvernement fédéral de montrer aux électeurs qu’il y a une volonté politique de renforcer la réglementation afin que les discours de haine autres que ceux dits « raciaux » puissent également être poursuivis devant le tribunal correctionnel. Et que les droits de toutes les personnes visées par de tels discours soient ainsi garantis.
*Signataires : Çavaria, Belgian Disability Forum asbl (BDF), BePax, Casa Rosa vzw, CBAI, Collectif pour l’Inclusion et contre l’Islamophobie en Belgique, Conseil Supérieur National des Personnes Handicapées, Délégué général aux droits de l’enfant (DGDE), Ella vzw, Esenca, Fédération Francophone des Sourds, Fédération Prisme, Institut fédéral des droits humains (IFDH), Furia, Hand in Hand tegen Racisme, Hand-in-Hand Gent, Hart boven Hard, Institut pour l’égalité des femmes et des hommes (IEFH), Inclusion Asbl, Internationaal Comité vzw, Kif Kif vzw, Le Monde des Possibles ASBL, LEVL, Liga voor Mensenrechten, Ligue des droits humains, Limburg Pride vzw, Merhaba, Mouvement Ouvrier Chrétien (MOC), MRAX Asbl, NAPAR Coalitie, Onafhankelijk Leven, Ook Genks Wel Anders, ORBIT vzw, RainbowHouse asbl, Regenbooghuis Limburg vzw, SAAMO vzw, Unia, Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), Universiteit voor het Maatschappelijk Belang vzw, Vie Féminine.