11 jeunes et la Ligue des droits humains assignent l’État belge en justice suite aux abus policiers survenus lors de la manifestation le 24 janvier 2021

Bruxelles, le 24 janvier 2023

Deux ans jour pour jour après la manifestation « contre la justice de classe et raciste » du 24 janvier 2021, 11 jeunes introduisent une action civile contre l’État belge, la zone de police Bruxelles-Capitale Ixelles et le bourgmestre de la Ville de Bruxelles en tant que chef de la zone de police pour les abus policiers dont iels ont été victimes. La Ligue des droits humains a décidé de se joindre à cette action devant le tribunal de première instance de Bruxelles : son objectif est de critiquer le recours à la technique de la nasse et l’absence de surveillance effective des lieux de détention de la police.

Des violences dénoncées par un syndicat policier

C’était il y a tout juste deux ans, le 24 janvier 2021. La manifestation « Stop à la justice de classe, stop à la justice raciste » qui avait pour but de dénoncer les violences policières est durement réprimée. Pourtant tolérée par le bourgmestre de Bruxelles, elle se terminera par plus de 200 interpellations. Plusieurs personnes, y compris mineures, témoigneront d’arrestations illégales et arbitraires, d’injures sexistes et racistes et de brutalités commises par la police, notamment dans les casernes d’Etterbeek. Fait rare, ces violences seront dénoncées plus tard par un syndicat policier, le CGSP Police.

Des arrestations sur base d’un profilage ethnique

Lors de leur arrestation, les 11 requérant·es ont subi des mauvais traitements, ont été entassées sans aucun respect des mesures Covid dans des véhicules de police et emmenées aux casernes d’Etterbeek. Les plaignant·es ont par ailleurs été témoins de violences physiques de la part de la police sur des personnes qui se trouvaient avec elles. Certaines ont été arrêtées uniquement sur base d’un profilage ethnique, certaines n’ayant même pas participé à la manifestation. Elles assignent l’État belge en justice parce qu’elles refusent que ces violences qui, prennent la forme d’arrestations arbitraires, restent impunies. Selon le Comité P, les violences policières sont définies comme « les menaces, la privation de liberté arbitraire, les violences contre les personnes ou les biens, la torture, le traitement inhumain, le traitement dégradant, le harcèlement, l’abus de pouvoir, le comportement ou l’attitude agressive et l’intimidation ». En parallèle de cette action en justice au civil, une action au pénal concernant d’autres plaignant·es est toujours à l’instruction.

La responsabilité des institutions

Cette action en justice vise à obtenir la réparation des dommages suite aux différents sévices subis, notamment le profilage ethnique, l’usage de la technique de la nasse et les abus dans les cellules. À la différence d’une action au pénal, ce n’est pas la responsabilité individuelle des agent·es qui est mise en cause mais celle des institutions responsables du cadre légal et réglementaire ayant permis ces abus. Et notamment d’interroger la technique des nasses par les forces de police.

Interroger la technique des nasses

La répression de cette manifestation a mis à l’avant-plan l’absence de cadre pour l’utilisation des nasses, ou techniques d’encerclement, par la police. La nasse est une technique policière qui consiste « à priver plusieurs personnes de leur liberté de se mouvoir au sein d’une manifestation ou à proximité immédiate de celle-ci, au moyen d’un encerclement par les forces de l’ordre qui vise à les empêcher de se rendre ou de sortir du périmètre ainsi défini ». Selon la CEDH, les limitations imposées à la liberté de circuler devaient être imposées « conformément à la loi ». Or, en Belgique, aucun cadre légal n’existe à ce propos. La Ligue des droits humains estime qu’on ne peut entraver de la sorte la liberté de manifester et que la légitimité de cette pratique doit être questionnée.

En France, le Conseil d’État a jugé illégal qu’aucune règlementation ne l’encadre et souligné le fait « qu’elle est susceptible d’affecter significativement la liberté de manifester et de porter atteinte à la liberté d’aller et venir ».

Surveillance des lieux de détention

Les conditions de détention des requérant·es étaient par ailleurs abusives : refus d’accès aux sanitaires, promiscuité, peur résultant des violences administrées à d’autres détenus. Ces violences ont eu lieu dans la caserne d’Etterbeek dépourvue de caméras de surveillance, qui ne fait pas non plus l’objet de contrôle par un organe de surveillance. Or, par le passé, des allégations de mauvais traitements y ont déjà été dénoncés. La Belgique a pourtant signé en 2005 l’OPCAT, le Protocole facultatif de la Convention des Nations Unies contre la Torture. Ce protocole poursuit l’objectif d’établir un système de visites régulières, effectuées par des organismes internationaux et nationaux indépendants, sur les lieux où se trouvent des personnes privées de liberté, afin de prévenir la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. La Ligue des droits humains demande la mise en œuvre de ce mécanisme qui aurait pu éviter la survenance de tels abus. Le décès de Sourour A. il y a 10 jours, et ceux avant elle, d’Ilyes A. et Mohamed B. montrent l’urgence à mettre ce mécanisme en place.

Cette action en justice doit contraindre l’État belge et les forces de police à déterminer précisément les conditions dans lesquelles les manifestations et les arrestations qui peuvent survenir en marge seront gérées à l’avenir afin de prévenir les violations des droits fondamentaux des personnes concernées. Et pour les autorités judiciaires de réaffirmer l’importance du droit de s’exprimer dans l’espace public, liberté des plus fondamentales dans un État démocratique.