La Ligue des droits humains et la Liga voor mensenrechten s’opposent à ce que les forces de police puissent être équipées d’armes “à létalité réduite” pour encadrer des manifestations

Bruxelles, le 15 octobre 2025

Suite aux événements et dégradations en marge de la manifestation nationale de ce mardi 14 octobre, le ministre de la Défense a plaidé pour l’utilisation de balles en caoutchouc par la police dans le cadre des manifestations. En janvier 2025, la NVA avait déjà déposé à la Chambre une proposition de résolution qui voudrait généraliser l’utilisation de ces armes dites “à létalité réduite” pour encadrer des manifestations. Or, cet armement particulier ne peut pas être utilisé pour les missions générales de gestion négociée de l’espace public. La LDH et la Liga voor mensenrechten y sont opposées: ces propositions éludent les risques réels liés à l’utilisation de ces armes et leur impact sur le droit de manifester et la liberté d’expression, déjà sous tension, ainsi que sur la santé des personnes concernées.

La proposition de résolution NVA se fonde sur un postulat de départ fallacieux, à savoir que la violence et la criminalité augmentent, ce que réfutent les chiffres des criminologues depuis plusieurs années. Pour faire face aux émeutes, de plus en plus nombreuses, disent les auteur·rices de la proposition de loi, la police doit pouvoir faire usage d’armes à létalité réduite. On parle d’armes cinétiques (flash-ball, LBD, FN 303…), d’armes chimiques (au poivre ou au gaz lacrymogène) ou encore d’armes acoustiques (qui produisent des sons à très haute intensité). Cela lui permettrait “de maintenir un groupe à distance”, “de réduire les contacts physiques sur le terrain”. Les policier·ères seraient “alors confronté·es à moins de situations de violence physique, le nombre de civil·es gravement blessé·es diminuerait”.

“Comme des armes de guerre”

En réalité, ces armes à létalité réduite et notamment les armes cinétiques comme les flash-balls ou les FN303, utilisées en juin dernier à Ganshoren lors d’une marche d’hommage à Fabian, peuvent entraîner des lésions importantes, voire tuer. En France, des prestataires de soins de santé ont demandé un moratoire sur l’utilisation de ces armes.

Le neurochirurgien du CHU de Besançon les comparant même à des armes de guerre, entraînant des lésions telles que “l’amputation de membre, défiguration à vie, fracas maxillo-facial ou dentaire, dilacération oculaire ou énucléation, fracas crânien, hémorragies cérébrales engageant le pronostic vital et entraînant des séquelles neurologiques, etc”.

Dans un rapport d’enquête du Comité P datant de 2023, plusieurs autorités policières réitèrent le conseil de ne pas utiliser le FN 303 dans la gestion des espaces publics : « L’utilisation du FN 303, qui implique de cibler des individus pour les blesser physiquement avec d’éventuelles lésions permanentes, est difficilement compatible avec les principes de gestion de l’espace public ».

“Bonne chance quand votre cible se déplace”

Par ailleurs, ces armes, utilisées dans l’espace public comme lors d’une manifestation ou lors d’émeutes, manquent de précision. Lors d’une récente audition parlementaire au sein de la commission des affaires intérieures sur la gestion des émeutes de nuit du Nouvel An, le chef de la police de la zone de Bruxelles, M. Michel Goovaerts, a évoqué les risques et l’inadaptation du FN303 pour le maintien de l’ordre à grande échelle:

“L’arme à létalité réduite est efficace jusqu’à 30 mètres. Mais dès que votre cible se déplace, je vous souhaite bonne chance, et les exemples étrangers ont montré avec le LBD que vous avez beaucoup de chances de rater et de toucher les mauvaises personnes. Je pense qu’avec l’arsenal d’armes dont nous disposons actuellement, nous avons suffisamment de ressources. Nous pouvons tirer des grenades lacrymogènes. Le FN303 que nous avons maintenant pour les équipes d’assistance spéciale, je pense que dans le contexte d’une application de la loi à grande échelle, cela n’apporte pas de valeur ajoutée ».

Le syndrôme “du flic paresseux” et le recul de la gestion négociée de l’espace public

Par ailleurs, présenter les armes “à létalité réduite” comme inoffensives entraîne le risque que les policier·ères y aient davantage recours que s’iels n’avaient qu’une arme à feu à disposition. Dans le même ordre d’idées, le “lazy cop-syndrome” ou “syndrome du policier paresseux” a été mis en évidence par le passé, notamment par le Comité P. Il s’agit d’un phénomène qui amène les policier·ères à recourir à des armes à létalité réduite parce qu’elles constituent une solution “plus facile” que les techniques de désescalade qui devraient être pourtant l’objectif de l’action de la police lors d’une manifestation. C’est ce que l’on appelle “la gestion négociée de l’espace public”, la négociation et le dialogue plutôt que la répression.

Pression supplémentaire sur le droit de manifester

Enfin, l’utilisation et le port d’armes à létalité réduite ont également un effet dissuasif sur les personnes qui cherchent à exercer pacifiquement leur droit à la liberté d’expression et d’association. Dans son rapport de 2023 sur les armes cinétiques, Amnesty International analyse les conséquences de l’utilisation de ces armes à l’étranger:

“Les personnes prises pour cibles ou frappées par des projectiles à impact cinétique comprennent des journalistes, du personnel médical et des passants, mais les principales victimes sont des personnes qui exerçaient leur droit de manifester pacifiquement” et conclut : “Alors que les armes à létalité réduite sont valorisées comme étant une option moins dangereuse que les armes à feu, bien trop souvent, elles sont utilisées illégalement pour harceler, intimider, punir ou repousser des manifestant·e·s, portant préjudice à leur droit de réunion pacifique”.

Or, l’on sait que le droit de manifester est déjà sous pression en Belgique, comme l’indiquait l’Institut Fédéral des droits humains dans son dernier rapport.

De telles armes n’ont rien à faire dans le cadre de manifestations et ne peuvent mener qu’à des situations problématiques. A l’heure où les principes démocratiques fondamentaux sont remis en cause, il est primordial que la Belgique maintienne un niveau de protection adéquat et ne renonce pas à ses valeurs fondamentales. La désescalade doit donc rester l’objectif de la gestion négociée de l’espace public.

La Ligue des droits humains et la Liga voor mensenrechten appellent les autorités politiques à refuser l’utilisation de cet armement particulier pour encadrer les manifestations. Elles ont rendu un avis à la Chambre des représentants dans ce sens en avril 2025.