Quand peut-on invoquer la désobéissance civile ?

Interview d’Alexis Deswaef publiée dans Le Soir du 22 mai 2015 à propos de la plainte pour rébellion déposée à l’encontre d’un passager d’un avion qui s’est opposé pacifiquement à une tentative d’expulsion en cours.

 

Plusieurs passagers du vol Bruxelles-Casablanca ont réagi à l’expulsion d’une Nigériane. Parmi eux, le député Emir Kir. Le SPF Intérieur a déposé plainte pour « rébellion ». Que risque-t-il ?

L e député-bourgmestre bruxellois Emir Kir (PS) ne regrette pas d’être intervenu lors de l’expulsion d’une ressortissante nigériane à bord d’un vol Royal Air Maroc Bruxelles- Casablanca le 12 mai dernier. « Si c’était à refaire, je le referais », a-t-il déclaré en dénonçant les circonstances inhumaines du rapatriement qui ont suscité des réactions d’autres passagers.

« Nous avons réagi parce que nous étions confrontés à une violence physique et psychologique insupportable. Les cris de cette femme étaient insoutenables. Sans cette intervention, je ne sais pas comment les choses se seraient terminées », a affirmé le député socialiste.

A la demande du ministre de l’Intérieur Jan Jambon et du secrétaire d’Etat à l’Asile et à la Migration, Theo Francken (tous deux N-VA), le SPF Intérieur a déposé plainte contre Emir Kir pour « incitation à la rébellion » dans un avion.
« L’acte de désobéissance n’est pas une infraction prévue dans le code pénal, la sanction est attribuée au cas par cas. C’est le parquet qui qualifie les faits. Ceux-ci peuvent aller de rébellion à outrage à agent en passant par un refus d’obéissance aux injonctions d’un agent de l’Etat. Dans neuf cas sur dix de violence policière, les policiers déposent plainte pour rébellion contre leurs victimes », explique l’avocat Alexis Deswaef, président de la Ligue des droits de l’homme.

« La désobéissance civile est une notion très complexe, mais se rebeller, c’est résister avec violence ou menace. Une résistance passive n’est pas constitutive d’une rébellion, poursuit Alexis Deswaef. Il y a eu plusieurs cas, ces dernières années, de passagers ayant réagi dans l’avion avant le décollage. Parce que ce qu’ils entendaient et voyaient était purement et simplement inhumain. Comme citoyen, comment réagit-on dans un cas pareil ? On ne sait pas de quoi il s’agit… On a payé son billet puisqu’on est dans un avion de ligne. On voit plusieurs agents en civil traiter un autre passager comme un animal. Et quand ces agents deviennent violents, on peut aussi être accusé de non-assistance à personne en danger. On fait quoi ? On laisse faire ou on réagit ? Pas évident… Mais qu’on ne vienne pas reprocher à des citoyens de s’offusquer de voir tout d’un coup quelqu’un être maltraité par plu- sieurs autres personnes. »

Pour Alexis Deswaef, réagir est tout à l’honneur de gens qui le font. « Indépendamment des lois applicables, peut-on laisser faire des choses pareilles ? Non évidemment, heureusement que des passagers ont réagi. »

Les passagers peuvent-ils également porter plainte ? « Il y a eu des antécédents en 2008 avec l’expulsion d’un Camerounais, poursuit le président de la Ligue des droits de l’Homme. Trois passagers ont réagi à l’expulsion forcée, ont été débarqués et ont reçu en plus une interdiction de voler sur Brussels Airlines de six mois. L’affaire s’est terminée par le suicide de mon client à la prison de Merksplas, parce qu’on lui avait expliqué que la prochaine fois, serait la bonne… Il y a eu plaintes des trois passagers et du Centre pour l’égalité des chances. Mais la chambre du conseil a finalement prononcé un non-lieu, estimant qu’aucune faute ou délit n’avait été causé par les agents incriminés. »

Précisons qu’au civil, une personne poursuivie pour de tels faits peut écoper d’une amende. Au pénal, si des faits de violence sont avérés, on peut être condamné à une peine d’emprisonnement (avec ou sans sursis). ■
PHILIPPE DE BOECK