Vie privée : la Cour constitutionnelle donne à nouveau raison à la LDH et ses partenaires en annulant partiellement la loi sur la conservation des métadonnées de communication

Ce jeudi 22 avril, la Cour constitutionnelle a partiellement annulé la loi relative à la rétention des données (loi du 29 mai 2016 relative à la collecte et à la conservation des données dans le secteur des communications électroniques), suite à un recours introduit par différents acteurs, dont la Ligue des droits humains (LDH). Il s’agit de la 4ème décision d’une instance suprême sur cette thématique (deux arrêts de la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) et deux arrêts de la Cour constitutionnelle). Le point commun de ces décisions : elles ont toutes fait droit aux arguments de la LDH et de ses partenaires. En effet, la Cour constitutionnelle, à la suite de la CJUE, est venue rappeler que la surveillance généralisée et indiscriminée des personnes est incompatible avec les valeurs démocratiques. Les autorités belges vont-elles enfin entendre le message ?

Contexte

En 2015, la LDH a obtenu l’annulation de la loi relative à la rétention des données, qui imposait aux opérateurs de télécommunications et aux fournisseurs d’accès à internet de conserver, à des fins de lutte contre la criminalité grave, toutes les informations de trafic concernant les usagers de ces télécommunications (aussi appelées métadonnées) : la date, l’heure, la durée et la modalité d’un appel téléphonique, d’un SMS ou d’un courriel, ainsi que la technologie utilisée et sa localisation. Soit une collecte massive et indiscriminée de données à caractère personnel.

Malgré cette première annulation, l’Etat belge a adopté une nouvelle législation similaire qui, si elle ne présentait pas toutes les tares de la première, n’en imposait pas moins une collecte systématique et massive des métadonnées des personnes présentes sur le territoire belge. La LDH a donc décidé, aux côtés d’autres associations (notamment la Liga voor mensenrechtenet et Avocats.be), d’introduire un recours contre la nouvelle loi relative à la rétention des données.

Une argumentation validée

Selon la LDH, la conservation des données de toutes les personnes, qu’elles soient ou non soupçonnées d’être impliquées dans un fait infractionnel, constitue une atteinte disproportionnée à la vie privée. En outre, au départ de la collecte de ces métadonnées, il est très facile d’établir un profil des utilisateur·rice·s de télécommunications. En effet, sur la base de ces données stockées, on peut reconstituer précisément les habitudes quotidiennes d’une personne, les lieux où elle se trouve, ses déplacements, ses cercles sociaux, etc.

Ce jeudi 22 avril, la Cour constitutionnelle a suivi les arguments avancés par la LDH et confirmé que le droit international et constitutionnel s’oppose à une législation nationale qui oblige les fournisseurs à conserver les données de tou·te·s les utilisateur·rice·s, sans distinction, pendant 12 mois.

Quelles suites ?

La crainte exprimée par les services de police et de sécurité et le gouvernement est de se retrouver privés d’un outil important dans le cadre de l’exercice de leurs missions. Toutefois, l’enseignement de ces décisions successives n’est pas que le contrôle des données personnelles est interdit en toutes circonstances, mais bien que ce contrôle ne peut pas être massif et indiscriminé.

Ainsi, la CJUE a bien établi que le législateur[1] peut déroger à cette interdiction de la surveillance généralisée, mais uniquement en cas de menace grave pour la sécurité nationale et à condition que la conservation des données soit limitée dans le temps et dans la mesure strictement nécessaire, que des garanties suffisantes soient prévues et que le contrôle de l’accès soit entre les mains d’un tribunal ou d’une autorité administrative indépendante. La CJUE a ainsi fait référence aux alternatives disponibles à une conservation générale de toutes les données, telles qu’une conservation ciblée, une conservation des adresses IP[2] et un “gel rapide” des données détenues par les fournisseurs de télécommunications.

Conclusion

La LDH se félicite de cet arrêt, dans lequel la Cour constitutionnelle rappelle une fois de plus que la lutte contre la criminalité ne légitime pas la surveillance de masse ni le traitement de chaque personne comme potentiellement suspecte.

La LDH espère que les ministres de la Justice et de l’Intérieur entendront cette fois le message, pourtant très clair, asséné par les juridictions tant nationales qu’internationales…

[1] « Le législateur » désigne l’ensemble des personnes et organes qui ont le pouvoir d’établir les lois. 

[2] Une adresse IP (avec IP pour Internet Protocol) est un numéro d’identification qui est attribué de façon permanente ou provisoire à chaque périphérique relié à un réseau informatique qui utilise l’Internet Protocol.

23 avril 2021