Il n’y a pas d’enfermement humain pour des enfants

Ce 11 juillet, la Ligue des droits de l’Homme et treize autres organisations, dont l’ADDE, le CIRÉ, la Ligue des familles et le Service de Santé Mentale Ulysse, ont visité les unités de détention pour familles avec enfants. D’ici quelques semaines ou quelques jours, des enfants dormiront derrière les barreaux de ce nouveau centre fermé, à Steenokkerzeel. En cette période de vacances, opportunément propice à la mise en œuvre de décisions controversées, la LDH et ses partenaires répètent leur totale opposition à la détention d’enfants.

Cette visite nous aura permis de constater le cynisme éhonté avec lequel les autorités se préparent à détenir des familles et l’écart monstrueux qui existe entre les mots et la réalité. Le gouvernement et l’Office des étrangers répètent continuellement que l’intérêt supérieur de l’enfant sera respecté dans ces lieux ; or, il n’y a aucun doute pour nous que ce ne sera pas le cas.

Quelques informations obtenues aujourd’hui nous inquiètent au plus haut point. Les détenus de plus de 16 ans pourront, en cas de comportement inadéquat, être placés en cellule d’isolement dans le centre 127bis, qui n’est clairement pas adapté aux mineurs. Les « unités familiales » sont équipées pour qu’on puisse y procéder à des vaccinations, ce qui laisse craindre que de très jeunes enfants, sans doute même des bébés, y seront enfermés. Il s’avère également que les parents seront menottés en arrivant au centre, avec leurs enfants. Enfin, il ne fait plus aucun doute sur le fait que les enfants seront enfermés dans un univers carcéral et seront confrontés, sans filtre, à la violence de la politique d’éloignement du gouvernement belge, puisqu’ils auront vue sur les détenus, les gardiens et les grilles du centre 127bis, situé juste à côté.

Comble de l’abjection : à l’intérieur du centre, les grilles ont été recouvertes de grandes bâches représentant des photos de champs. Les autorités déploient donc une énergie considérable pour aménager ces lieux, pour les rendre « acceptables ». Un trompe-l’œil, une diversion pour tenter de faire oublier qu’il s’agit bel et bien d’une prison, que ce sont des parents et des enfants qui seront enfermés ici. Encore une illustration de la volonté du gouvernement d’enfermer et d’expulser ces familles dans l’opacité la plus totale et de cacher ces unités de détention qui font honte à notre pays et à notre démocratie.

Pour les autorités, l’intérêt supérieur de l’enfant semble donc être un concept à géométrie variable, que l’on peut tordre et déformer à l’envi, pour tenter de légitimer une politique violente et inhumaine.

Depuis des mois, près de 300 organisations des secteurs de la jeunesse, de l’enseignement, de la défense des droits humains, des mondes culturel, social, sportif, confessionnel… se sont jointes à la campagne « On n’enferme pas un enfant. Point ». Cette mobilisation n’a suscité aucune réaction de la part du gouvernement. La construction de ce centre de détention s’est poursuivie froidement, implacablement.

Au-delà de son inhumanité, cette décision est incompréhensible. Lorsqu’elle plaçait encore des enfants en détention, la Belgique a été condamnée à trois reprises, entre 2006 et 2011, par la Cour européenne des droits de l’Homme, pour « traitements inhumains et dégradants ». Le gouvernement s’imagine-t-il que la CEDH sera cette fois moins attentive aux droits de l’enfant ? Croit-il se situer au-dessus de normes internationales, voire de la Constitution belge, qui garantissent l’intérêt supérieur de l’enfant ? Croit-il pouvoir les violer impunément ? Ou pense- t-il que la fin justifie les moyens ?

De quelle fin parle-t-on ? Il s’agit ici d’expulser de force des familles qui se sont installées en Belgique, qui ont tout fait pour construire un avenir meilleur à leurs enfants, malgré les obstacles administratifs. Leurs enfants qui souvent sont nés ici et ne savent rien d’un pays « d’origine » qu’on leur attribue brutalement. Ces familles représentent-elles un danger si pressant qu’il faille à n’importe quel prix s’en débarrasser ?

Le gouvernement considère-t-il que ces « unités familiales » présentent les garanties de conditions humaines de détention qui lui permettront d’échapper à de nouvelles condamnations ? Nous lui rappellerons, une fois de plus, que le Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies a statué que la détention des enfants viole leurs droits fondamentaux et que de nombreux experts ont démontré l’impact profond et néfaste de la détention sur la santé, le développement et le bien-être des enfants. Et ce, quelles que soient les conditions de l’enfermement.

Il n’y a pas d’enfermement humain pour des enfants. Nous nous y opposerons, toujours.

Signataires
ADDE – Association pour le droit des étrangers

CIRÉ – Coordination et Initiatives pour Réfugiés et Étrangers
Ligue des familles
Ligue des droits Humains
Service de Santé Mentale Ulysse

12 juillet 2018