L’Empreinte, radiographie d’un pardon

Portrait de l’auteure – Sarah Trillet

Avec son premier roman L’Empreinte, Alexandria Marzano-Lesnevich procède à une démonstration assez extraordinaire de ce à quoi renvoie le concept de « justice réparatrice ». L’entreprise était de taille, car l’auteure puise dans les éléments les plus intimes de sa vie privée les prémisses de ses réflexions, notamment à propos de la peine de mort.

L’auteure, alors jeune avocate fermement opposée à la peine de mort, voit ses valeurs vaciller lorsque qu’elle est confrontée aux confessions d’un meurtrier et qu’elle ressent le vif souhait de le voir mourir. Déstabilisée par cette réaction viscérale, elle se lance dans des investigations à la limite de l’acharnement pour reconstituer l’histoire. En remontant le fil, une explication se dégage, des liens apparaissant peu à peu entre son propre passé, l’histoire du meurtrier et un terrible secret de famille.

Ce faisant, Alexandria Marzano-Lesnevich offre au lecteur la possibilité d’occuper différentes places, tantôt du point de vue des victimes, tantôt de celui des auteurs de violence et de leurs proches. Et de provoquer un dialogue inattendu entre des positions en apparence inconciliables. S’ouvrent alors des perspectives de raisonnement qui dépassent l’utopie d’une vérité unique et objective et celles-ci conduiront l’auteure vers un puissant catharsis.

« Ce qui m’a tant séduite dans le droit il y a si longtemps, c’était qu’en composant une histoire, en élaborant à partir des événements un récit structuré, il trouve un commencement, et donc une cause. Mais ce que je ne comprenais pas à l’époque, c’est que le droit ne trouve pas davantage le commencement qu’il ne trouve la vérité. Il crée une histoire. Cette histoire simplifie les choses, et cette simplification, nous l’appelons vérité. »

Au cours de sa quête, l’auteure met en évidence les inévitables zones d’ombre qui subsistent dans toute affaire criminelle et le caractère fondamentalement subjectif de la loi. Elle interroge en outre, sans jamais tenter ni affirmer de réponse, des sujets tels que la responsabilité, le traitement des maladies mentales, la mécanique – puissante – des secrets de famille, mais aussi les processus de résilience et du pardon.

« C’est la logique à laquelle je ne trouverai jamais d’explication ; dans ma famille, une douleur, ce sera toujours la mienne ou la tienne, à monter l’une contre l’autre et à mettre en balance, jamais une douleur collective, jamais une douleur de famille. Est-ce que ce qu’il se passe dans une famille est le problème de la famille, ou le problème de celui ou de celle qui en est le plus affecté ? »

« J’en suis venue à croire que chaque famille est définie par un acte fondateur, une croyance fondatrice. Depuis mon enfance, j’ai compris que celle de mes parents était la suivante : ne jamais regarder en arrière. »

L’Empreinte n’est pas ce que l’on peut appeler une lecture agréable, elle est même par moments douloureuse. On y entrevoit la difficulté des travailleurs du secteur judiciaire, leurs zones d’impuissance, les traumatismes que ces métiers peuvent occasionner, y compris les traces que laissent les affaires criminelles sur les jurés, les hommes de loi mais aussi sur la société toute entière.

Mais ce roman qui mêle enquête journalistique, autobiographie et polar est non seulement riche d’un talent d’écriture prometteur mais est aussi un brillant manifeste contre la peine de mort. Et plus généralement, il proclame – pour toutes les parties – le droit à poursuivre sa vie.

« Merci pour ton amour, et pour avoir créé avec moi un foyer dans lequel mes souvenirs du passé peuvent subsister sans danger auprès de mes espoirs pour l’avenir. »

L’Empreinte a reçu le Grand Prix des Lectrices de Elle 2019 et le Prix du Livre étranger 2019. L’Empreinte est la traduction du titre original The Fact of a Body, a Murder and a Memoir, paru en 2017 aux États-Unis.

Alexandria Marzano-Lesnevich, Sonatine, 2019, 480 p.