Kérosène

Janvier 2010. Mont-de-Marsan. le photographe le photographe Alain Bujak se dirige vers le Camp du rond, le plus vieux camp de gitans de France, « chez les manouches ». Il y a rendez-vous avec Marie, la doyenne. Juste après la Seconde Guerre mondiale, ils se sont installés là, Marie avec ses parents, ses frères et sœurs, dans les baraques en bois laissées vacantes par les prisonniers allemands qui venaient de partir. Le Camp du rond est situé en bout de piste d’une base militaire aérienne. C’est une Zone A. Personne ne devrait y vivre compte tenu du bruit et des rejets de kérosène, dangereux pour la santé. L’ancienne équipe municipale a revendu le terrain à l’armée pour un euro symbolique. La nouvelle mairie décide de reloger les familles. Mais comment respecter leurs choix et leur identité, tout en respectant les normes et les lois ? A faire disparaître cet espace qui porte la mémoire de la communauté, c’est la communauté elle-même qu’on renverse et une identité qu’on gomme. Comment ceux qui ont toujours vécu en extérieur, et en dehors des villes pourraient supporter de vivre dans des logements ordinaires ? Est-il possible de trouver racine ailleurs, lorsqu’on est d’abord déracinés ?

Ce reportage (magnifiquement) dessiné développe, à travers des témoignages de gitans et des photos du contexte misérable dans lequel ils vivent, un regard original sur la situation d’une population nomade en France. Avec sensibilité et pudeur, il évoque l’attachement des manouches à des valeurs et des traditions difficilement compatibles avec une société sédentarisée et les rapports difficiles qu’ils entretiennent avec les Gadjé. Car l’isolement dû au racisme et aux stéréotypes est bien plus violent que la misère.

Pas de misérabilisme ni d’angélisme ici, juste la photographie d’une idée de la liberté qui ne supporte pas d’être enracinée.

Kérosène de Piero Macola et Alain Bujak, Futuropolis,  août 2017, 136 pages