Juge d’instruction vs Gouvernement : une nouvelle victoire pour la Justice

Ce 6 décembre 2018, la Cour constitutionnelle a partiellement annulé la loi du 25 décembre 2016, suite au recours en annulation introduit par la Ligue des droits de l’Homme et la Liga voor Mensenrechten. Elle a, de ce fait, réaffirmé l’importance du rôle des juges d’instruction dans le cadre de l’enquête pénale, d’une part, le caractère incontournable du secret professionnel des avocat-e-s et médecins, d’autre part.

Si les réformes judiciaires s’enchaînent à un rythme effréné depuis le début de la législature, la quantité semble de loin primer sur la qualité des textes législatifs. En effet, une nouvelle fois, la LDH et la LVM ont été contraintes d’introduire un recours en annulation à la Cour constitutionnelle contre une loi de réforme de la procédure pénale et, une nouvelle fois, la Cour a joué son rôle de gardienne de la Constitution en sanctionnant le texte d’origine gouvernemental.

De quoi s’agit-il ?

Le gouvernement a souhaité procéder à une extension des méthodes particulières de recherche (MPR) et des mesures prévues à l’art. 90ter du CICr aux champs de l’internet, des communications électroniques et des télécommunications. Si la LDH et la LVM reconnaissent l’impérieuse nécessité de confier aux services compétents les moyens juridiques et légaux d’accomplir leurs missions, il convient de trouver un juste équilibre entre nécessité de la répression des infractions et protection des libertés fondamentales. Or, une nouvelle fois, le législateur n’a pas su trouver cet équilibre.

Il convient de souligner que les deux précédentes lois encadrant les MPR ont fait l’objet de deux arrêts de la Cour constitutionnelle annulant partiellement certaines de leurs dispositions. Dans les deux cas, ce le fût sur des recours en annulation introduits par la LDH et de la LVM. Dans les deux cas, la LDH et la LVM avaient été auditionnées par la Commission de la Justice de la Chambre et, dans les deux cas, les associations requérantes n’avaient pas été entendues.

Jamais deux sans trois : l’histoire s’est répétée. Le gouvernement, sûr de son fait, est resté sourd à ces critiques. Fort heureusement, la Cour l’a rappelé à l’ordre. Mais pour quelle perte de temps et de fonds publics ?

Cette loi s’inscrit dans une tendance lourde qui opère un glissement de plus en plus net et abondant des prérogatives du juge d’instruction, acteur cardinal de notre procédure pénale puisqu’il est indépendant et impartial et qu’il mène son instruction à charge et à décharge, au profit du parquet et des forces de police, qui ne sont pas indépendantes et dont la mission légale est fondamentalement différente et vise à la recherche et à la répression des infractions et de leurs auteurs.

Qu’a rappelé la Cour constitutionnelle ? :

  1. La nouvelle loi permettait au procureur du Roi d’étendre la recherche dans un système informatique saisi vers un système informatique qui se trouve dans un autre lieu. En clair, lorsqu’un policier saisit un téléphone portable (ou tout autre système informatique), le parquet pouvait consulter les fichiers s’y trouvant ainsi que tous les fichiers connectés (figurant sur des réseaux sociaux, etc.). Et donc avoir accès à des éléments tels que le contenu des boîtes de courrier électronique, les photos, etc. La Cour a rappelé que, s’agissant d’une ingérence importante dans la vie privée des individus, cela doit impérativement rester une prérogative exclusive d’un juge d’instruction.
  2. Par ailleurs, le législateur n’ayant rien prévu à cet effet, la Cour affirme que les accès au base de données professionnelles des avocats et des médecins doivent rester de la compétence du juge d’instruction et supprime l’ensemble des règles édictées par le législateur confiant ce rôle au Procureur du Roi.

Quelles conclusions en tirer ?

Si l’on peut déplorer que l’arrêt de la Cour n’aille pas assez loin, notamment en ce qu’il n’étende pas le secret professionnel à d’autres catégories professionnelles (qu’en est-il du secret des sources journalistiques ? Du secret professionnel des assistant-e-s sociaux et autres fonctions concernées par l’art. 458 du CP ?) et en ce qu’il laisse encore une large marge de manœuvre aux forces de police et au parquet, il n’en reste pas moins que cet arrêt est un nouveau camouflet pour le gouvernement dans son travail de sape de l’institution du juge d’instruction sans l’accompagner de balises garantissant le respect de la vie privée et de l’institution du secret professionnel.

Signataires :
La Ligue des droits de l’Homme et la Liga voor Mensenrechten

7 décembre 2018