Exportation d’armes wallonnes en Arabie saoudite : la Justice appelée au secours des droits fondamentaux

La Coordination nationale d’action pour la paix et la démocratie (CNAPD) et la Ligue des Droits Humains (LDH), soutenues par la section belge francophone d’Amnesty International (AIBF), ont décidé d’introduire une plainte pénale contre les entreprises qui ont illégalement exporté du matériel militaire à destination du Royaume d’Arabie saoudite. Le parquet de Liège a ouvert une information dans ce dossier. Parallèlement, une demande d’information auprès des douanes et du Ministre fédéral va être introduite. En cas de préjudice, les ONG introduiront une demande d‘indemnisation auprès du tribunal civil afin d’obtenir de l’Etat belge, responsable des douanes, la réparation du dommage qu’il a causé à leur objet social.

En septembre 2017, la CNAPD, la LDH et AIBF ont appris par voie de presse que le Ministre Président de la Région wallonne avait octroyé 28 licences d’exportation d’armes vers le Royaume d’Arabie saoudite. Sur base de cette information, ces associations ont introduit diverses demandes de suspension et d’annulation de ces licences au Conseil d’Etat. Ces demandes ont abouti à la suspension historique d’une partie des licences contestées en juin 2018.

Dans ses différents arrêts, le Conseil d’Etat a jugé que la Région wallonne n’avait pas procédé à un examen minutieux et prudent de certains des critères prévus par le décret wallon du 21 juin 2012 relatif à l’exportation de matériel militaire ; et plus précisément qu’elle n’avait examiné ni le critère lié au « respect des droits de l’homme dans le pays de destination finale et

[au] respect du droit humanitaire international par ce pays », ni le critère de la « préservation de la paix, de la sécurité et de la stabilité régionale », ni celui du « comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale et, notamment, son attitude envers le terrorisme, la nature de ses alliances et le respect du droit international ».

Toutefois, à cette occasion, six arrêts constatent qu’à la date du 6 mars 2018, la majeure partie des licences qui faisaient l’objet des recours avaient été complètement exécutées : les armes avaient en effet entretemps été livrées au pays destinataire. Cela alors que toutes les licences délivrées par le Ministre Président de la Région wallonne contiennent une clause libellée comme suit : « La validité de la présente licence est suspendue lorsque le pays destinataire est impliqué dans un conflit international ou interne. »

Or, l’article 20, § 1er, 1° du décret du 21 juin 2012 relatif à l’exportation de produits liés à la défense incrimine le fait d’exporter ces produits en méconnaissance des clauses contenues dans les licences obtenues par le vendeur.

Il ne peut donc être contesté que, quelle que soit la qualification du conflit actuellement en cours au Yémen dans lequel le Royaume d’Arabie saoudite a pris part, ce dernier est bien « impliqué dans un conflit international ou interne » et que les licences d’exportation vers cet Etat étaient de plein droit suspendues. L’exportation vers l’Arabie saoudite en violation de cette clause constitue à l’évidence une infraction au décret wallon.

Dès lors, nos associations ont décidé de signaler cette infraction au Procureur du Roi, de sorte qu’il puisse ouvrir une information judiciaire permettant de poursuivre les entreprises auteures des faits délictueux. Ce qu’il a fait en date du 5 avril 2019.

Parallèlement, les mêmes associations vont demander des comptes à l’Etat belge en raison du fait que les douanes belges ont laissé sortir ces armes du pays, quand bien même les licences l’interdisaient formellement. En effet, nos associations ont préalablement écrit aux douanes pour leur demander de faire respecter la clause contenue dans les licences, à savoir de ne pas permettre aux armes de sortir du territoire national vers le Royaume d’Arabie saoudite. Malgré cela, les douanes ont autorisé la sortie de ces armes, en contradiction flagrante avec cette clause.

Pour l’ensemble de ces raisons, et d’autant plus suite aux révélations de l’enquête #BelgianArms parues dans la presse ce jour, la CNAPD et la LDH, avec le soutien de la section belge d’AI, ont décidé de demander à la Justice de pointer les responsabilités des différents acteurs impliqués dans ces multiples violations, tant du droit belge que du droit international, cela quelque soit leur place dans la chaîne de responsabilité : tant les entreprises, que la Région wallonne et que l’Etat fédéral doivent répondre de leurs actes.

8 mai 2019